Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome II.djvu/527

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

plus l’individu dérivé de la société ; telle est la nation nouvelle. L’individu devenu la grande affaire, le citoyen au premier plan et la cité au second, la construction de l’homme d’abord, ayant pour résultante la construction de la société, ceci est le grand horizon inattendu. Tel citoyen, telle cité ; tel individu, telle société. De là la nécessité de faire l’homme bon. De là autour de l’enfance, germe d’un univers nouveau, tout un groupe d’institutions qui manquent aujourd’hui. Enseignement gratuit et obligatoire, assistance, égalité par l’éducation, liberté par la pensée, écoles, collèges, gymnases, ateliers, laboratoires, hygiène, développement de l’esprit, développement du corps, ouverture de l’intelligence, science de la santé, versement de lumière sur le petit être. La civilisation humaine, depuis six mille ans inattentive à ce qui l’attend et vivant chétivement au jour le jour, se réveille enfin, s’aperçoit que Demain existe, comprend que Demain est son maître, et se sent prise de cette préoccupation immense : l’enfant.

L’enfant, c’est-à-dire l’avenir.

De ceci, l’individu d’abord, la société ensuite, que résulte-t-il ? l’être de raison disparaît, l’abstraction s’évanouit, la fiction se dissout, l’état, encore à cette heure si monstrueusement disproportionné, se réduit à un centre communal. Le gouvernement n’est plus qu’une police, l’armée qu’une gendarmerie, l’administration qu’une voirie. Votre tigre est devenu votre chien.

Plus de frontières ; ceci est déjà presque obtenu ; le va-et-vient des locomotives troue et disloque les limites de peuple à peuple, le rail mêle l’homme à l’homme ; la vie en commun de l’humanité commence ; les poètes, les écrivains et les philosophes ont prêché la croisade sublime de la paix ; la guerre est déconsidérée ; il y a trente ans, elle n’était qu’affreuse ; aujourd’hui elle est bête. Un panache est un anachronisme ; la passementerie fait sourire. « Un guerrier » aujourd’hui est grotesque comme jadis « un pékin ». Le ridicule a retourné sa lorgnette. La bataille pour la bataille, cela n’est déjà plus admis ; le drapeau ne suffit plus ; il faut une idée. Autrement une victoire, sans raison, n’ayant que sa rime gloire, est une vieille mode. Les grands vainqueurs sont devenus enseignes d’auberge. La réalité n’est plus là. Cela a été, cela n’est plus. Encore un peu, et un soldat fera l’effet d’un revenant. Une horreur dont on rit est morte. De Profundis sur la guerre. Vive la paix ! Vive la vie ! Il ne s’agit plus que de s’entendre. Or la langue universelle est trouvée. Par toute la terre, la civilisation parle français. A quoi, chez tous les peuples, reconnaît-on une intelligence ? à ce signe : parler français.

La frontière supprimée supprime la guerre ; la guerre supprimée supprime l’armée ; l’armée supprimée supprime la monarchie. L’exception ne se maintient