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ODES ET BALLADES.


Leur voix mêlait des noms à leur vieille devise :
« Tarente, Reggio, Dalmatie et Trévise ! »
Et leurs aigles, sortant de leur puissant sommeil,
Suivaient d’un bec ardent cette aigle à double tête,
Dont l’œil, ami de l’ombre où son essor s’arrête,
Se baisse à leur regard, comme aux feux du soleil !

Qu’est-ce donc ? — Et pourquoi, bronze envié de Rome,
Vois-je tes légions frémir comme un seul homme ?
Quel impossible outrage à ta hauteur atteint ?
Qui donc a réveillé ces ombres immortelles,
Ces aigles qui, battant ta base de leurs ailes,
Dans leur ongle captif pressent leur foudre éteint ?

III



Je comprends : — l’étranger, qui nous croit sans mémoire,
Veut, feuillet par feuillet, déchirer notre histoire,
Écrite avec du sang, à la pointe du fer. —
Ose-t-il, imprudent ! heurter tant de trophées ?
De ce bronze, forgé de foudres étouffées,
Chaque étincelle est un éclair !

Est-ce Napoléon qu’il frappe en notre armée ?
Veut-il, de cette gloire en tant de lieux semée,
Disputer l’héritage à nos vieux généraux ?
Pour un fardeau pareil il a la main débile :
L’Empire d’Alexandre et les armes d’Achille
Ne se partagent qu’aux héros.

Mais non ! l’autrichien, dans sa fierté qu’il dompte,
Est content si leurs noms ne disent que sa honte.
Il fait de sa défaite un titre à nos guerriers,
Et, craignant des vainqueurs moins que des feudataires,