Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affirmer ici, après un mûr examen, que l’évidence d’un tel raisonnement ne paraît pas absolument incontestable.

Abandonnons enfin cette question de mots, qui ne peut suffire qu’aux esprits superficiels dont elle est le risible labeur. Laissons en paix la procession des rhéteurs et des pédagogues apporter gravement de l’eau claire au tonneau vide. Souhaitons longue haleine à tous ces pauvres Sisyphes essoufflés, qui vont roulant et roulant sans cesse leur pierre au haut d’une butte ;


Palus inamabilis undâ
Alligat, et novies Styx interfusa coercet.


Passons, et abordons la question de choses, car la frivole querelle des romantiques et des classiques n’est que la parodie d’une importante discussion qui occupe aujourd’hui les esprits judicieux et les âmes méditatives. Quittons donc la Batrachomyomachie pour l’Iliade. Ici, du moins, les adversaires peuvent espérer de s’entendre, parce qu’ils en sont dignes. Il y a une discordance absolue entre les rats et les grenouilles, tandis qu’un intime rapport de noblesse et de grandeur existe entre Achille et Hector.

Il faut en convenir, un mouvement vaste et profond travaille intérieurement la littérature de ce siècle. Quelques hommes distingués s’en étonnent, et il n’y a précisément dans tout cela d’étonnant que leur surprise. En effet, si, après une révolution politique qui a frappé la société dans toutes ses sommités et dans toutes ses racines, qui a touché à toutes les gloires et à toutes les infamies, qui a tout désuni et tout mêlé, au point d’avoir dressé l’échafaud à l’abri de la tente, et mis la hache sous la garde du glaive ; après une commotion effrayante qui n’a rien laissé dans le cœur des hommes qu’elle n’ait remué, rien dans l’ordre des choses qu’elle n’ait déplacé ; si, disons-nous, après un si prodigieux événement, nul changement