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ODES ET BALLADES.


TITYRE. — MÉLIBÉE.

ÉGLOGUE.


Mélibée.

Couché sous cet ormeau, tu redis, cher Tityre,
Les airs mélodieux que ta flûte soupire ;
Et nous, d’un sort cruel jouets trop malheureux !
Nous fuyons… nous quittons les champs de nos aïeux,
Tandis qu’à ces forêts ta voix douce et tranquille
Fait répéter le nom de la belle Amarylle.

Tityre.

C’est un dieu bienfaisant qui causa mon bonheur,
C’est un dieu, car César en est un pour mon cœur !
Souvent, berger, le sang d’un agneau tendre encore
Arrosera l’autel de ce dieu que j’adore ;
C’est lui dont la bonté conserva mes troupeaux,
Et me permit d’enfler mes rustiques pipeaux.

Mélibée.

Loin d’envier ton sort, trop fortuné Tityre,
J’en veux bénir l’auteur, avec toi je l’admire !
Vois nos champs désolés en proie à la douleur.
Moi-même, hélas ! brisé par l’âge et le malheur,
Je conduis avec peine à travers ces prairies
Mon seul bien, le troupeau de mes chèvres chéries ;
Celle-ci même encore, au pied de ces ormeaux,
Sur un rocher aride a mis bas deux jumeaux,
Ah ! Tityre, ils étaient mon unique espérance !…
Souvent, il m’en souvient, (quelle était ma démence !)
Des chênes foudroyés m’ont présagé nos maux,
Et l’oiseau, qui la nuit erre sur les tombeaux,
Du creux d’un if obscur sembla me le prédire.
Mais quel est donc le dieu dont tu parles, Tityre ?