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ODES ET BALLADES.


CACUS[1]

(Extrait d’une traduction inédite de l’Enéide)


Jam primum saxis suspensam hanc adspice rupem.

Énéide, Liv. VIII.


Vois sur ce mont désert ces rochers entassés,
Vois ces blocs suspendus, ces débris dispersés ;
Là, dans un antre immense, au jour inaccessible,
Vivait l’affreux Cacus, noir géant, monstre horrible.
À ses portes pendaient des crânes entr’ouverts,
Pâles, souillés de sang, et de fange couverts.
Ses meurtres, chaque jour, faisaient fumer la terre.
De ce monstre hideux Vulcain était le père ;
Sa gorge vomissait des tourbillons de feux,
Et son énorme masse épouvantait nos yeux.

Enfin, comblant nos vœux et vengeant ses victimes,
De ce géant farouche un dieu punit les crimes.
Sur nos bords arriva le fils d’Amphitryon,
L’heureux et fier vainqueur du triple Géryon ;
Ses taureaux, bondissant dans de vastes prairies,
Erraient en liberté sur ces rives fleuries ;
Cacus, que rien n’étonne et qui veut tout oser,
Au courroux du héros craint peu de s’exposer ;
Il dérobe à la fois, par d’obscurs artifices,
Quatre taureaux fougueux, quatre ardentes génisses ;
Mais, tremblant que leurs ne prouvent ses larcins,
De leur superbe queue il saisit les longs crins,
Il les traîne en arrière, espérant que peut-être
Leur trace déguisée abusera leur maître.

Hercule s’apprêtait à quitter ces beaux lieux.
Ses taureaux font mugir les bois de leurs adieux,
Et fuyant pour jamais ces fertiles campagnes,
De leurs regrets plaintifs remplissent les montagnes.
Soudain trompant l’espoir du monstre qui frémit,

  1. Publié dans le Conservateur littéraire et dans Victor Hugo raconté