Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/429

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En cercle rassemblés autour de ses victimes,
Le sort marque tous ceux qui vont punir ses crimes ;
Nous l’entourons : des Dieux nous implorons l’appui,
Nous approchons du monstre, et nous fondons sur lui.
Un tronc d’arbre noueux, qu’un fer aigu prolonge,
Dans son œil effroyable au même instant se plonge.
Cet œil étincelait sur son front menaçant :
D’un bouclier d’Argos tel brille le croissant ;
Telle Phébé rayonne en l’horreur des nuits sombres.
Du moins, de nos amis nous vengeâmes les ombres.

  Fuyez ces bords ; fuyez, trop malheureux nochers !
Cent Cyclopes hideux errent sur ces rochers.
Tous, tels que Polyphème, habitant ces rivages,
Renferment leurs troupeaux dans leurs antres sauvages.
Phébé m’a vu trois fois, en finissant son cours,
Traîner dans ces forêts mes misérables jours ;
Là, j’entends des géants tonner la voix bruyante ;
Là, je tremble au fracas de leur marche effrayante.
Nourri d’herbes, de glands, de quelques fruits amers,
Le jour fuit, et ma vue erre encor sur les mers…
J’aperçois vos vaisseaux : sans les connaître encore,
Je vole, heureux de fuir ces rives que j’abhorre !
Frappez ; je meurs content, quel que soit mon trépas ;
Mais sur ces bords cruels ne m’abandonnez pas ! »

À peine il a parlé, nous voyons vers la plage,
Appuyant son grand corps sur un pin sans feuillage,
S’avancer hors d’un roc, son ténébreux séjour,
Un monstre informe, affreux, vaste et privé du jour.
Son troupeau qui le suit charme seul sa souffrance :
Son chalumeau pesant pend à son col immense ;
Il touche enfin les flots : il s’y plonge en hurlant,
Se courbe, et dans leur sein lave son œil sanglant.
Au milieu de leur gouffre il fend les mers profondes,
Marche, et ses flancs encor s’élèvent sur les ondes.
Nous nous hâtons de fuir : tout se tait ; nos vaisseaux
S’ouvrent au suppliant et volent sur les eaux.
La rame entre nos mains monte et tombe en cadence ;
Polyphème l’entend, se retourne, s’élance,
Étend ses vastes bras, rechasse au loin les flots,
Et poursuit, mais en vain, nos pâles matelots.
Il élève un grand cri… L’Italie agitée
Voit trembler à ce bruit sa rive épouvantée ;