Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/481

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Montaigne aimait Paris jusque dans ses verrues ;
J’ai passé par l’enfance, et cet âge chéri
Plaît, même en ses écarts, à mon cœur attendri.
Je ne sais : mais pour moi sa naïve ignorance
Couvre encor ses défauts d’un voile d’innocence.
Le lierre des rochers déguise le contour,
Et tout paraît charmant aux premiers feux du jour.

Âge enchanteur où l’âme, étrangère à l’envie,
Se prépare en riant aux douleurs de la vie,
Prend son penchant pour guide, et, simple en ses transports,
Fait le bien sans orgueil et le mal sans remords !

Oh ! si le sort aveugle, à tous mes vœux propice,
M’eût permis d’être heureux au gré de mon caprice,
Horace, ton ruisseau, ton champ, ton petit bois[1],
Ne m’auraient point suffi pour être égal aux rois ;
J’aurais encor voulu, près de mon toit agreste,
Ouvrir aux fils du pauvre une école modeste,
Et, parmi ces enfants, tous soumis à ma loi,
J’aurais rêvé des jours qui ne sont plus pour moi.
Enfants, rassurez-vous : mon front n’est point sévère,
Je veux surtout qu’on m’aime et peu qu’on me révère ;
Je n’aurais pas été ce magister jaloux,
Pédant gonflé de morgue et bouffi de courroux,
Qui semble, en ses sermons toujours tristes et graves,
Le Vieux de la Montagne instruisant ses esclaves.
La peur préside seule à ses vaines leçons,
Il gronde sur un mot, punit sur des soupçons,
Et souvent, à mentir vous contraignant d’avance,
Détruit votre candeur et non votre ignorance.
Loin de moi ce vieux fou, despote triomphant,
Qui ne se souvient plus qu’il fut jadis enfant,
Et, foulant sous son joug la jeunesse asservie,
Flétrit d’un souffle impur les roses de la vie !

Enfants, vous en riez : mais vos pleurs chaque soir
Par leur trace récente attestent son pouvoir.
Pour moi, j’aurais voulu, troupe aimable et joyeuse,
Vous faire un doux plaisir d’une étude ennuyeuse,
J’aurais, d’un nouvel art empruntant le secours,

  1. Hoc erat in volis : modus agni non ira magnus,
    Hortus ubi, et recto vicinus jugis aqua fors,
    Et paulum sylvae super his foret, etc.
    (HOR., sat. vt, lib. II.)