Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/658

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« J’entends, dans le combat qui remplissait la ville,
Des voix crier : « Défends d’une horde servile,
« Ombre de Botzaris, tes grecs infortunés ! »
Et moi, pour m’échapper, luttant dans les ténèbres,
J’achevais de briser sur les marbres funèbres

Tous mes ossements décharnés.


« Soudain, comme un volcan, le sol s’embrase et gronde… —
Tout se tait ; et mon œil, ouvert pour l’autre monde,
Voit ce que nul vivant n’eût pu voir de ses yeux.
De la terre, des flots, du sein profond des flammes,

S’échappaient des tourbillons d’âmes

Qui tombaient dans l’abîme ou s’envolaient aux cieux.

« Les musulmans vainqueurs dans ma tombe fouillèrent ;
Ils mêlèrent ma tête aux vôtres qu’ils souillèrent.
Dans le sac du tartare on les jeta sans choix.
Mon corps décapité tressaillit d’allégresse ;
Il me semblait, ami, pour la Croix et la Grèce

Mourir une seconde fois.


« Sur la terre aujourd’hui notre destin s’achève.
Stamboul, pour contempler cette moisson du glaive,
Vile esclave, s’émeut du Fanar aux Sept-Tours ;
Et nos têtes, qu’on livre aux publiques risées,

Sur l’impur sérail exposées,

Repaissent le sultan, convive des vautours !

« Voilà tous nos héros ! Costas le palicare ;
Christo, du mont Olympe ; Hellas, des mers d’Icare ;
Kitzos, qu’aimait Byron, le poëte immortel ;
Et cet enfant des monts, notre ami, notre émule,
Mayer, qui rapportait aux fils de Thrasybule

La flèche de Guillaume Tell.


« Mais ces morts inconnus, qui dans nos rangs stoïques
Confondent leurs fronts vils à des fronts héroïques,