Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/751

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Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues
Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues,

De sombres régions ;

Et mille impurs esprits que ta course réveille
Autour du voyageur, insolente merveille,

Pressent leurs légions.


Il traverse d’un vol, sur tes ailes de flamme,
Tous les champs du possible, et les mondes de l’âme ;

Boit au fleuve éternel ;

Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée,
Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée,

Flamboie au front du ciel.


Les six lunes d’Herschel, l’anneau du vieux Saturne,
Le pôle, arrondissant une aurore nocturne

Sur son front boréal,

Il voit tout ; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,
De ce monde sans borne à chaque instant déplace

L’horizon idéal.


Qui peut savoir, hormis les démons et les anges,
Ce qu’il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges

À ses yeux reluiront,

Comme il sera brûlé d’ardentes étincelles,
Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes

Viendront battre son front ?


Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l’accable

Il ploie avec effroi ;

Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
Enfin le terme arrive… il court, il vole, il tombe,

Et se relève roi !


Mai 1828.