Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/142

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Au cinquième feuillet, les trois alinéas suivant ces mots : On l’aime mieux aigle qu’hirondelle, ne sont pas de la main de Victor Hugo ; il a dû les dicter au dernier moment, car on lit au bas du verso de cette page :

On pourra venir chercher le reste demain vers midi.

Après la date, cette recommandation :

N. B. Il faudra que cette préface soit séparée des vers par une page blanche sur laquelle on mettra :

Les
feuilles d’automne.

Nous complétons le manuscrit de la préface avec trois feuillets qui nous semblent, à plus d’un titre, appartenir aux Feuilles d’Automne ; l’auteur, dans ce fragment, comme dans la préface publiée, place l’art au-dessus des préoccupations politiques et sociales du moment ; de plus, il prend la défense de lord Byron, auquel il a consacré la pièce XI et nomme ici le détracteur qui, dans la poésie : Dédain, a bénéficié de l’anonymat ; l’écriture est de 1830 :


C’est la mode de dire que l’art est mort.

Il n’est pas d’artiste qui n’entende quelquefois aujourd’hui dire et répéter autour de lui : — Que faites-vous là ? à quoi bon ? l’art est mort. Regardez la tribune, regardez la place publique, voyez la séance, voyez l’émeute. C’est là qu’est le bruit, c’est là qu’est l’action, c’est là qu’est la vie. Allons, artiste, quittez votre œuvre d’art, et venez travailler à la besogne publique ! — En vérité !

Mais l’art lui-même n’est-il pas une besogne publique ? et puis, quels grands hommes avez-vous donc pour remplir ainsi la scène à vous tout seuls ?

Si quelqu’un, vers 1811, était venu dire à lord Byron, alors jeune, alors tellement inconnu en Europe que Millevoye l’appelait dans une note de je ne sais plus quel poëme un certain lord Baron (Dantem quem dam) ; si quelqu’un, dis-je, homme de sens et de poids fût venu dire à lord Byron : — Que faites-vous là ? à quoi bon l’art ? êtes-vous fou ! mais regardez donc autour de vous. Est-ce que vous ne voyez pas Napoléon ? Quoi ! vous prétendez intéresser l’Europe à des héros imaginaires, Conrad, Lara, un corsaire, que sais-je ? lorsque voilà un héros réel et vivant qui la broie sous ses talons ! à des fantaisies de poëte quand elle subit des fantaisies de conquérant ! poëte, vous êtes un nain, voilà le géant ! vous êtes un fou, voilà le grand homme. La force aujourd’hui est dans le bras, non dans l’esprit. Six cent mille vers ne valent pas six cent mille soldats. Austerlitz, Marengo, Iéna, voilà les Iliades du dix-neuvième siècle. Ah ! poëte, poëte ! vous prétendez occuper le monde de vous et de vos rêves quand l’empereur est là ! Voilà tous les yeux tournés vers une comète, et vous mettez votre chandelle à votre fenêtre pour qu’on admire votre chandelle ! allons, quittez ces billevesées. Il n’y a plus que les affaires politiques maintenant qui aient vie et qui la donnent. Vous avez un siège au Parlement, Mylord. C’est là qu’est votre place. Pair d’Angleterre, vous serez grand sur votre fauteuil ; poëte, vous êtes ridicule sur votre trépied. —