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XXIX




Puisqu’il plut au Seigneur de te briser, poète ;
Puisqu’il plut au Seigneur de comprimer ta tête
De son doigt souverain,
D’en faire une urne sainte à contenir l’extase,
D’y mettre le génie, et de sceller ce vase
Avec un sceau d’airain ;

Puisque le Seigneur Dieu t’accorda, noir mystère !
Un puits pour ne point boire, une voix pour te taire,
Et souffla sur ton front,
Et, comme une nacelle errante et d’eau remplie,
Fit rouler ton esprit à travers la folie,
Cet océan sans fond ;

Puisqu’il voulut ta chute, et que la mort glacée,
Seule, te fît revivre en rouvrant ta pensée
Pour un autre horizon ;
Puisque Dieu, t’enfermant dans la cage charnelle,
Pauvre aigle, te donna l’aile et non la prunelle,
L’âme et non la raison ;

Tu pars du moins, mon frère, avec ta robe blanche !
Tu retournes à Dieu comme l’eau qui s’épanche
Par son poids naturel ;
Tu retournes à Dieu, tête de candeur pleine,
Comme y va la lumière, et comme y va l’haleine
Qui des fleurs monte au ciel !

Tu n’as rien dit de mal, tu n’as rien fait d’étrange.
Comme une vierge meurt, comme s’envole un ange,