Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
LA PITIÉ SUPRÊME.

IV

Tyrannie ! escalier qui dans le mal descend
Obscur, vertigineux, fatal, croulant, glissant !
Toutes les marches vont décroissant de lumière ;
Et malheur à qui met le pied sur la première !
C’est la spirale infâme et traître aboutissant
À l’ombre, et vous teignant les semelles de sang.
La conscience aveugle y mène l’âme sourde.
À chaque pas qu’on fait, la chair devient plus lourde ;
L’animal sur l’esprit pèse de plus en plus,
Et l’on se sent du souffle universel exclus ;
Aujourd’hui c’est la faute et demain c’est le crime ;
On tuera demain ceux qu’aujourd’hui l’on opprime.

Et l’on descend ainsi que dans un rêve ; et l’air
Est plein de visions ; et, dans un blême éclair,
Tous les masques qui sont l’épouvante du monde,
Le lâche, le félon, le féroce, l’immonde,
Des profils effarés et des visages fous
Flottent…

Flottent… — C’est toi, Caïn ? Noirs Césars, est-ce vous ?
L’odeur des encensoirs aux odeurs d’ossuaires
Se mêle, et, dans les plis des longs draps mortuaires,
Tous les spectres sont là, sous l’affreux firmament,
Montant et descendant ces degrés lentement ;
Chaque âme de tyran, misérable, est leur antre ;
Agrippine au flanc nu criant : Frappe le ventre !
Ninus, Sémiramis, Achab et Jézabel,
Molay, jetant sa cendre à Philippe le Bel,
Agnès la réprouvée et l’excommuniée,
Berthe par la tenaille ardente maniée,