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LA PITIÉ SUPRÊME.


« Henri quatre, l’histoire un jour dira de toi :
« Il n’était pas méchant, non, mais il était roi.
« Ah ! quand l’autodafé lamentable s’allume,
« Quand le noir patient prend feu, se tord et fume,
« Une flamme peut-elle, alors que le brasier
« Mord la victime et cherche à s’en rassasier,
« Quand le mourant frémit dans l’angoisse dernière,
« S’isolant du bûcher, crier : Je suis lumière !
« Non, pas un roi n’est bon, non, pas un roi n’est doux,
« Et tous sont dans chacun et chacun est dans tous.
« Peuple ! au moins jette-leur la haine expiatoire !
« Tous ont au front la main sanglante de l’histoire.
« Anathème sur tous ! »

Anathème sur tous Et c’est précisément
Cette fatalité qui fait mon tremblement.

Oh ! je me sens parfois des pitiés insondables.
Je gémis sur les grands et sur les formidables,
Sur les démons grondants et sur les dieux tonnants ;
Devant l’accablement des sombres continents,
Devant l’horreur, devant l’antre de nos annales
Difforme et pénétré de lueurs infernales,
C’est à vous que je songe et que je compâtis,
Tristesse des tyrans sous la pourpre engloutis,
Souci mystérieux des rois, mélancolie
Du tigre méditant sur sa morne folie.
Pesant la conscience, observant l’horizon,
Je me prends à douter que le juge ait raison
Et que l’historien tienne le vrai coupable.
Et du passé perdu dans la brume impalpable,
Du présent où moi-même autrefois j’étouffais,
De ce gibet, le droit, de ce charnier, les faits,
De cette vision : Louvre, Cirque, Hippodrome,
Empereurs dégradés de l’empire par Rome,
Pierre et César rompant leur monstrueux hymen,
Papes noirs étendant dans les ombres la main,