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LA PITIÉ SUPRÊME.


Le trajet d’un brouillard aux deux, et le chemin
Qu’un nuage d’erreurs fait dans l’esprit humain ;
Et les linéaments de l’Inconnu surgissent ;
Et les princes hagards que les meurtres rougissent,
Avec les Genséric la nuit coïncidant,
Et le glaive et le sceptre, et la griffe et la dent,
Et le tigre et le maître, et l’horreur babélique,
Dans ces compassions immenses tout s’explique.
Sitôt qu’on a cessé de maudire, le sort
Semble un chaos calmé d’où l’ordre auguste sort ;
Les mystères, devant le songeur sans colère,
Sont le gouffre, mais sont le gouffre qui s’éclaire ;
Ils n*ont plus de démence, et blanchissent, pareils
À des cieux noirs où vont se lever des soleils ;
Et voilà tout à coup que, dans l’ombre sacrée,
Calmes, pleines de Dieu, des lois font leur entrée ;
On ne lit pas le livre, on en épèle un mot ;
Et l’on frissonne, tant on sent le bras d’en haut,
Tant l’homme est faible, et tant l’énormité divine
Paraît dans ce qu’on voit et dans ce qu’on devine !

On reconnaît qu’ils sont bien peu de chose, hélas !
Tous ces tristes Nérons conduits par les Pallas,
Pour qui Dieu n’est qu’un spectre et les hommes des nombres.
Cette espèce de mont formé de règnes sombres,
Cet édifice affreux que chaque âge construit
Avec des attentats, de la gloire et du bruit,
Et qui, sanglant, rayé de suintements fétides,
Fait bloc avec les rois, mornes cariatides,
Ce chaos de faits lourds, tristes, hideux, navrants,
Qui charge la mémoire informe des tyrans,
Toutes ces actions sauvages et terribles
Qui donnent dans l’histoire aux Tibères horribles
Des aspects monstrueux de démons écrasés,
Ce tas des vieux forfaits, bronzes vertdegrisés,
Cet amas du granit le plus dur des abîmes,
Ce grand rocher du mal, alluvion des crimes,