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PHILOSOPHIE.

Connaître à fond Celui qui Vit, ses attributs,
Son essence, sa loi, son pouvoir, — de tels buts
Sont plus hauts que l’effort de l’homme qui trépasse.
Les invisibles sont. Ils emplissent l’espace,
Ils peuplent la lumière, ils parlent dans les bruits ;
Mais ne ressemblent point à ce que tu construis.

Renonce à fatiguer le réel de tes songes ;
L’Ombre, en bas comme en haut, repousse tes mensonges ;
Le tonnerre n’est pas l’ami ni l’ennemi
De ton Dieu que ne hait ni n’aime la fourmi ;
Quand ta dévotion dresse un temple et s’y mure,
L’ouragan en ricane et l’abeille en murmure’;
Tu n’es pas moins raillé du nain que du géant ;
Tes dragons sont d’airain, tes dieux sont de néant ;
Tu peux les ciseler, mais non les faire vivre ;
L’oiseau craint le serpent et perche sur ta guivre ;
Sculpte tes déités ! dans leurs yeux de granit
Le vautour fait sa fiente et le crapaud son nid !

Toi-même tu rirais, si tu pouvais connaître
À quel point tu ne peux, homme, rien faire naître,
Rien construire en dehors des formes que tu vois ;
À quel point tous tes arts, travaillant à la fois,
Tes peintres, tes sculpteurs, sont nuls pour rien produire
Hors du cercle où tu vois un jour pâle te luire ;
Jusqu’où sont puérils tes rêves délirants ;
Quelle est, pour inventer, l’enfance des plus grands ;
Combien est infécond Rembrandt, et dans quel lange
Sont encor Phidias, Rubens et Michel-Ange !
La nature, l’aïeule aux mille sombres voix
Rugissantes parmi les antres et les bois,
La nourrice des loups, des ours et des panthères,
À des dessous profonds peuplés de noirs mystères
Qui te feraient pâlir si tu les pénétrais,
Et, dans l’énormité des eaux et des forêts,
Riche en monstres, n’a pas besoin de tes chimères.