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L’ÂNE.

Pas un texte, ici, là, haut ou bas, près ou loin,
Pas de volume jaune et mangé par les mites,
Pas de lourd catalogue informe et sans limites,
Que mon esprit, voulant tout voir, ne feuilletât.
J’ai donc étudié beaucoup ; le résultat ?
Un peu d’allongement à mes oreilles tristes.

Et je me suis dit : — Âne, il faut que tu persistes.
J’ai pris, pour faire enfin le tour des cécités,
D’autres inscriptions à d’autres facultés,
Hébreu, sanscrit, pâkrit, grammaire générale,
Jurisprudence, droit, esthétique, morale,
Chimie… — Oh ! comprends-tu, Kant, ce qu’il m’a fallu
De longanimité pour dire : — J’ai tout lu,
Tout appris, et je suis plus que jamais pécore ;
Eh bien ! je vais apprendre et je vais lire encore !

L’âne poursuivit : — Kant, j’ai donc recommencé,
Doublé ma rhétorique, élargi mon fossé ;
J’ai remis mon oreille énorme en discipline ;
J’ai recreusé Straton, Sosibe, Éraste, Pline,
Et Gérard de Crémone, et Trublet, ab ovo,
Et le grammairien Sostrate, et de nouveau,
La science m’a fait manger de la poussière.
Du noir chaudron qui bout devant cette sorcière
Je me suis fait le morne et lugubre écumeur.

Oh ! cliquetis de mots, tohubohu, rumeur,
Champ de foire, Babel, chaos ! auquel entendre ?
Bossuet est féroce et Fénelon est tendre ;
La concordantia du cardinal d’Ailly
Montre un dogme dans l’astre au fond des cieux cueilli ;
Photius m’expliquait son fatras somnifère,
Catanes ses trois dés, Sacrobosco sa sphère ;
Solon m’offrait ses lois, Bollandus ses romans ;
Irénée insultait les quartodecimans ;
Je voyais se poursuivre à coups de syllogismes,