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L’ÂNE.

Qu’une beauté, toujours, partout, c’est d’être riche ;
L’or ne connaît que l’or, et devant les lingots
Le vice et la vertu sont deux sombres égaux.
Voilà tout ce que sait la science.

Voilà tout ce que sait la science. La vie
Fait quelques pas tremblants vers le bien, puis dévie.

L’homme est un psaume, soit ; il est blasphème aussi ;
Son âme est une lyre au son peu réussi
Où l’honnête a sa corde, où l’injuste a sa fibre ;
Dans son pauvre esprit louche il tient en équilibre
Cauchon et Jeanne d’Arc, Socrate et Mélitus ;
Il complète le bien d’où sortent ses vertus,
Hélas, avec le mal d’où sortent ses fétiches ;
Ce vers faux a Satan et Dieu pour hémistiches.

Homme, entre nous et toi bien mince est la cloison,
Et l’aigle par devant et par derrière est oison.
Ta cervelle est de boue et ton cœur est de pierre.
Tes docteurs chats-huants détournent leur paupière
Au resplendissement du divin Hélios ;
Ils éclipsent avec un mur d’in-folios
Le ciel mystérieux d’où viennent les grands souffles ;
Qu’est-ce qu’ils font de toi, ces bonzes, ces maroufles,
Ces talapoins lettrés aux discours pluvieux ?
Un vieux toujours enfant, un enfant toujours vieux.
Ton groupe sépulcral d’écolâtres ineptes
Prêche, érige les morts en dogmes, en préceptes,
T’assourdit d’un éloge infâme de la nuit,
Allume un suif et dit : C’est un astre qui luit !
Applaudit l’écrevisse et le crabe, et célèbre
Les reflux du présent dans le passé funèbre,
Si bien que tu ne sais, dans ton hébétement,
Si tu vois Demain poindre au bas du firmament
Ou d’Hier qui revient la noire silhouette,
Si c’est l’affreux hibou qui chante, ou l’alouette,