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L’ÂNE.

Pour entrevoir leur vague et sévère stature.
Averti dans ton flegme et dans ta passion,
Sans cesse tu subis l’austère obsession
Des êtres te montrant Dieu sous leur transparence
Et l’espèce d’auguste et calme remontrance
Que te fait, selon l’heure et selon la saison,
Rien qu’en se déployant sur le vaste horizon,
La majesté profonde éparse en la nature ;
Tu dis : La loi passée et présente et future,
C’est moi ; je viens punir, damner, supplicier !
Tu te déclares juste et juge et justicier ;
Tu mets ta toge et prends la plus fière attitude,
Tu fais de l’évidence et de la certitude,
Résolvant tout, flétrissant ; au bagne celui-ci,
Au gibet celui-là ; c’est bien, voici les astres !
Autour de tes bonheurs, autour de tes désastres,
Autour de tes serments à bras tendus prêtés,
Et de tes jugements et de tes vérités,
Les constellations colossales se lèvent ;
Les dragons sidéraux s’accroupissent et rêvent
Sur toi, muets, fatals, sourds, et tu te sens nu
Sous la prunelle d’ombre et sous l’œil inconnu ;
Toutes ces hydres ont des soleils sur leurs croupes,
Et chacune est un monde, et chacun de ces groupes
S’offre à toi, triste Œdipe, et ces sphinx du cosmos
Ont leurs énigmes tous dont ils savent les mots ;
La création vit, stable, auguste, sacrée,
Et fait en même temps dans le vague empyrée
Un bruit d’inquiétude et de fragilité ;
Un long tressaillement glisse dans la clarté,
Un frisson dans la nuit court sous la voûte ignée ;
Homme, au-dessus de toi, quoique la destinée
Semble avoir l’épaisseur du bronze par instant,
Ton oreille, écoutant les ténèbres, entend
Tous les frémissements d’une maison de verre.
Homme, pour t’empêcher d’oublier Dieu, pour faire