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COLÈRE DE LA BÊTE.

Par moments se dresser en sursaut ton sommeil,
L’univers met sur toi, dans l’espace vermeil,
La nuit, ce va-et-vient mystérieux et sombre
De flambeaux descendant, montant, marchant dans l’ombre ;
Ce voyage des feux dans l’océan d’en haut
S’accomplit sur ton front, et, toi, dans ton cachot,
L’araignée homme, ayant ton égoïsme au centre
De ton œuvre, et caché dans l’intérêt ton antre,
Inquiet malgré toi de la splendeur des cieux,
Tu regardes, pendant ton guet silencieux,
À travers les fils noirs de tes hideuses toiles,
Ces navigations sublimes des étoiles.
Tout en te disant chef de la création,
Tu la vois, elle est là, la grande vision,
Elle monte, elle passe, elle emplit l’étendue ;
La chose incontestable, inexplicable, ardue,
T’environne, entr’ouvrant ses flamboyants secrets,
Pendant que des arrêts, des dogmes, des décrets
Sortent d’entre tes dents qui claquent d’épouvante ;
Tu coupes, souverain, dans de la chair vivante,
Tu vas criant : Je suis très haut, je suis le roi !
Tu proclames qu’au gré de ton caprice à toi
Telle action sera mérite ou forfaiture,
Tu prends la plume et fais au droit une rature ;
Voilà qu’une blancheur pénètre la forêt
Et que la lune pâle et sinistre apparaît ;
Le spectre du réel traverse ta pensée ;
La loi vraie, immuable et jamais effacée,
Passe appuyant sur toi son œil fixe et pensif.
Sur tes deuils, sur ton rire obscur et convulsif,
Sur ta raison souvent folle, toujours hautaine,
Sur ton temple, qu’il soit de Solime ou d’Athène,
Sur tes religions, dieux, enfers, paradis,
Sur ce que tu bénis, sur ce que tu maudis,
Tu sens la pression du monde formidable ;
Ton âme, atome d’ombre, et ta chair, grain de sable,
Ont sur elles les blocs, les abîmes, les nœuds,