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L’ÂNE.

Et ta propre figure, ombre et nuit, t’importune,
Mêlée à cette vaste et fatale fortune ;
Tu perds le sentiment et la proportion
De ton idée ainsi que de ton action,
Voyant de toutes parts, dans l’azur, dans les nues,
Monter autour de toi des lueurs inconnues ;
Tu te penches, ému d’un frisson sépulcral,
Sur l’étrange et tragique horizon sidéral ;
Tu tombes éperdu dans les mélancolies
Des éclipses, des nuits sans fond, des parhélies,
Des astres, des éthers et des espaces bleus ;
Qu’es-tu, toi le terrestre, en ce tout merveilleux
Où gravitent les Mars, les Vénus, les Mercures ?
Tu tressailles d’un flot d’impulsions obscures ;
Tout se creuse sitôt que tu tâches de voir ;
Le ciel est le puits clair, la tombe est le puits noir,
Mais la clarté de l’un, même aux yeux de l’apôtre,
N’a pas moins de terreur que la noirceur de l’autre ;
Tu dis à ton évêque : Homme, où donc est Sion ?
Tu fais sa crosse en point d’interrogation ;
Tu charges la science infirme qui laboure,
D’instruire ton procès avec ce qui t’entoure ;
Mais qui donc osera balbutier l’arrêt ?
Informer, à quoi bon ? juger, qui l’essaierait ?
Tu ne connais de rien le dernier mot ; tu poses
Des arguments aux faits, des dilemmes aux choses ;
Mais comment décider ? Tout est mêlé de tout ;
La neige froide touche à la lave qui bout ;
La composition du destin, quelle est-elle ?
L’être est-il un hasard ? l’homme est-il en tutelle ?
Quel est le bon ? quel est le mauvais ? que doit-on
Ajouter à Dracon pour en faire Caton ?
D’où vient qu’on se dévore et d’où vient qu’on se tue ?
Est-ce qu’au papillon la fleur se prostitue ?
Le fumier est-il saint et frère du parfum ?
Tout vit-il ? quelque chose, ô nuit, est-ce quelqu’un ?
D’où vient qu’on naît ? d’où vient qu’on meurt ? d’où vient qu’on souffre ?