Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/113

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Vous êtes empereur, mais gare tout de même.
Vous dites : Je suis presque un Alexandre. On m’aime !
Eh bien, même Campaspe et même Éphestion
N’ont pas à votre place une indigestion.
C’est doux d’avoir, avec des vins à pleine amphore,
Des femmes plus que n’a de vagues le Bosphore ;
Sérails et festins sont charmants, et malfaisants.
Les gens de Géorgie apportent tous les ans
Une vierge au sultan, c’est une politesse ;
Mais ne peuvent, hélas, quand même sa hautesse
Daignerait les rouer de coups de nerf de bœuf,
Avec la viande fraîche offrir l’estomac neuf.

On crache, on tousse, même en la plus haute sphère.
La nature est parfois insolente. Qu’y faire ?

On est le grand passant d’Arcole et d’Iéna ;
On est le cavalier de la victoire ; on a
Pour soleil Austerlitz et pour ombre Brumaire,
Si bien que Juvénal vous prend aux mains d’Homère ;
Cela n’empêche pas le sternum d’exister.
Qui frappe ? C’est la mort qui vient vous débotter,
Sire.

Sire. On a beau régner, se faire un entourage
De trompettes, d’encens, de fumée et d’orage ;
On a beau se coiffer de lauriers sur les sous,
Avoir sous soi le peuple en paysans dissous,
Être le criméen, l’africain, le dacique,
S’asseoir sur l’aigle ainsi que le Jupin classique,
Se loger au Kremlin, vivre à l’Escurial,
Au moment où l’on est le plus impérial,
À l’heure où l’on remplit de son nom les deux pôles,
Voilà qu’on est poussé dehors par les épaules.
À rien ne sert d’aller se cacher dans des trous.
Dieu vient. On perd sa peine à fermer les verrous.
Ce fâcheux-là n’est point un de ceux qu’on évite.