Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/312

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Je suis l’être pensif que la douleur connaît ;
Mon soir mystérieux touche à l’aube suprême.

Vous qui tournez la tête et qui dites : c’est bien !
Et qui vous remettez à rire à votre porte,
Ce que j’endure est peu, ce que je suis n’est rien,
Et ce n’est pas à moi que ma souffrance importe ;

Mais, quoi que vous fassiez et qui que vous soyez,
Quoi donc ! n’avez-vous rien au cœur qui vous déchire ?
N’avez-vous rien perdu de ceux que vous aimiez ?
Qui sait où sont les morts ? comment pouvez-vous rire ?



IV


Heureux les éprouvés ! voilà ce que je vois ;
Et je m’en vais, fantôme, habiter les décombres.
Les pêcheurs, dont j’entends sur les grèves la voix,
Regardent les flots croître ; et moi, grandir les ombres.

Je souris au désert ; je contemple et j’attends ;
J’emplis de paix mon cœur qui n’eut jamais d’envie ;
Je tâche, craignant Dieu, de m’éveiller à temps
Du rêve monstrueux qu’on appelle la vie.

La mort va m’emmener dans la sérénité ;
J’entends ses noirs chevaux qui viennent dans l’espace.
Je suis comme celui qui, s’étant trop hâté,
Attend sur le chemin que la voiture passe.

Ne plaignez pas l’élu qu’on nomme le proscrit.
Mon esprit, que le deuil et que l’aurore attire,
Voit le jour par les trous des mains de Jésus-Christ.
Toute lumière sort ici-bas du martyre.