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XXXIV


Il faut agir, il faut marcher, il faut vouloir.
Mais songer comme un turc et dormir comme un loir,
Aller aux champs, au bois, au bal, puis chez les filles,
Ce n’est point la façon de sauver nos familles,
De relever nos droits, de redresser nos fronts,
Et de porter remède au mal que nous souffrons.
On a la chaîne au cou, mais des fleurs sur la tête ;
On rêve l’âge d’or antique de la bête
Où tout était charmant pourvu qu’on s’accouplât ;
On est spirituel, on est jeune, on est plat.
Oh ! que de lâchetés ! oh ! l’abjecte débauche
Où la chute du peuple et de l’homme s’ébauche !
Cela ne sert à rien de faire les vainqueurs.
Ah ! la mort du pays suit le sommeil des cœurs.
Le devoir est un dieu qui ne veut point d’athée.
Je dis que la patrie auguste est souffletée,
Que ce n’est point l’instant des jeux, mais des combats,
Et que, lorsqu’on aura mis le tyran à bas
Et la loi sur le trône, il sera temps de rire.
Réveillez-vous ! je dis que la patrie expire,
Que cette mère, hélas, dont j’écoute les cris,
À besoin de Brutus et non de Sybaris,
Qu’il lui faut plus de fronts sévères et moroses,
Plus de bras étreignant des glaives, moins de roses,
Et que voilà pourquoi, moi, ployé par les ans,
Sur la place publique, au milieu des passants,
En face du soleil sacré qui nous éclaire,
J’apporte ma vieille âme et ma vieille colère !