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XIII Ah ! la philosophie est vorace !


Ah ! la philosophie est vorace ! il lui faut
L’idée avec le fait, la chose avec le mot,
Le connu, l’inconnu, le réel, l’impossible.
Elle ne peut marcher sans tout ce combustible.
C’est en épuisant tout que ce lourd cachalot
Nage, vogue, navigue, et se maintient à flot :

Regarde. On est en route. On fuit le long des grèves.
Toute la Grèce rit comme un palais des rêves.
L’ardent vaisseau qui traîne à travers le flot bleu
Ses nôirs poumons de houille et son souffle de feu,
Voit défiler les caps, les îlots, les calangues.
Il va. Les passagers, parlant toutes les langues,
Contemplent, attroupés sur le pont du steamer,
Le matin, quelque port serein, le soir, la mer
Par le soleil couchant chauffée au rouge sombre,
L’Archipel où l’eau gronde et que l’écueil encombre,
Le cône refroidi du volcan de Lemnos,
Et la Crète, et ses monts qui semblent des créneaux,
Et Corinthe, et Mycène, et Nauplie, et les restes
Du temple d’Erechthée, et la tour des Cyrrhestes,
Et, tout au fond, le mont Othrys, le mont Cnémis,
Noirs géants dans la nuit homérique endormis.
Le paquebot va, court, roule pale sur pale ;
Et la vague est de nacre et la côte est d’opale,
Et les grands horizons passent,. ayant sur eux
Ou le nuage rose ou l’éclair sulfureux ;
Après une île enfuie on voit une île éclore.
Et pendant ce temps-là la machine dévore