Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XII.djvu/307

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XIV Lorsque j'étais enfant,


Lorsque j'étais enfant, sortant de rhétorique,
J'envoÿais aux journaux de la prose lyrique
En l'honneur des géants du sombre esprit humain;
J'essayais d'expliquer. leur but et leur chemin,
De quel pas ils marchaient et vers quélle lumière;
Ce qu'ils faisaient; pourquoi la Bible est la première,
Et plus bas l'Iliade; et je disais pourquoi
Molière demi-dieu passe Corneille roi;
Ce qu'est Milton; pourquoi; je n'étais pas athée
Au génie; et pourquoi j'admirais Prométhée;
Pourquoi je contemplais les esprits éclatants,
Poètes, orateurs, sages; -puis, par instants,
Je m'écriais, brisant mes plumes inquiètes:
-A quoi bon célébrer en prose les poètes?
Louer l'immensité, l'azur, la profondeur!
Peut-on dorer la flamme et grandir la grandeur?
Chanter Homère en style à trente sous la page!
Coudre un vain feuilleton, inutile tapage,
Accrocher ma louange en verres de couleur
Au roi Priam, géant de l'antique douleur,
A Job, à Jérémie, à Dante, à toi, Shakspeare,
Au vieil Eschyle en qui le vieux Titan respire!
Dire au génie, au bas du journal: sois béni!

Vanter ces écrivains du grand livre infini
Dont la foule ne sait pas même l'orthographe!
Pendre une girandole en bouchons de carafe
A l'anneau de Saturne énorme et flamboyant!

Et tout bas une voix me disait: -Ô. croyant,
Le ciel t'a mis dans l'âme une lyre ingénue,
Non, ne t'arrête pas! tu fais bien. Continue.