Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XII.djvu/346

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Tu sacrais le vieil art aïeul de l'art nouveau;
Tu comprenais qu'il faut, lorsqu'une âme inconnue
Parle au peuple, envolée en éclairs dans la nue,
L'écouter, l'accepter;. l'aimer, ouvrir Ies cceurs;
Calme, tu dédaignais. l'effort vil des moqueurs
Écumant sur Eschyle et, bavant sur Shakspeare;
Tu savais que, ce siècle a son air qu'il respire,
Et que, l'art ne marchant qu'en se transfigurant,
C'est embellir le beau que d'y joindre le grand.
Et l'on t'a vu pousser d'illustres cris de joie
Quand le Drame a saisi Paris comme une proie,
Quand l'antique hiver fut chassé par Floréal,
Quand l'astre inattendu du moderne idéal
Est venu tout à côup, dans le ciel qui s'embrase
Luire, et quand l'Hippogriffe a relayé Pégase!

Je te salue au seuil sévère du tombeau.
Va chercher le vrai, toi qui sus trouver le beau.
Monte l'âpre escalier. Du haut des sombres marches,
Du noir pont de l'abîme on entrevoit les arches;
Va! meurs! la dernière heure est le dernier degré.
Pars, aigle, tu vas voir des gouffres à ton gré;
Tu vas voir l'absolu, le réel, le sublime.
Tu vas sentir le vent sinistre de la cime
Et l'éblouissement du prodige éternel.
Ton olympe, tu vas le voir du haut du ciel,
Tu vas du haut du vrai voir l'humaine chimère,
Même celle de Job, même celle d'Homère,
Ame, et du haut de Dieu tu vas voir Jéhovah.
Monte, esprit! Grandis, plane, ouvre tes ailes, va!

Lorsqu'un vivant nous quitte, ému, je le contemple;
Car entrer dans la mort, c'est entrer dans le temple
Et quand un homme meurt, je vois distinctement
Dans son ascension mon propre avènement.