Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XII.djvu/43

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Asile où le lynx guette, où rôde lé jaguar,
Solitude, ouvre-toi devant l'errante Agar.
L'aile est au moucheron, l'araignée a ses toiles.
Dresse toujours plus haut sous le ciel plein d'étoiles,
Dans l'azur, dans le souffle orageux des typhons,
Au-dessus des étangs et des bourbiers profonds,
Tes branchages d'où sort le miasme insalubre,
Sombre monde ignoré, forêt, vierge lugubre!
Grandissez, passereaux, car l'épervier grandit.
Joie! ô bandit, sois prince! ô prince, sois bandit.
Règne, imposture, et prends le fils après le père.
Réussissez, rois, dieux, peste! Echafaud, prospère!
Ô guerre, ô fratricide, ayez tous les bonheurs
Que peuvent vous donner les tueurs, les seigneurs,
Les bourreaux, les mangeurs d'enfants, les chasseurs d'hommes.
Croîs, Babel! Sybaris, chantez! Aimez, Sodomes!
Ô pourriture, sois heureuse; écroulement,
Travaille; pullulez, corbeaux; et toi, gaîment,
Tourne,-ô meule de grès, et rends la lame aiguë.
Jusquiame, aconit, germez; fleuris, ciguë;
Chante sous les gibets, mandragore; venins
Des joncs vils, des buissons rampants, des arbres nains,
Gonflez-vous, car c'est nous, les inconnus terribles,
Qui, filtrant l'âpre sève à travers d'affreux cribles,
Confiant au printemps l'assassinat, faisons
Votre épaississement formidable, ô poisons!
Nous sommes l'essaim noir qui passe, et qui souhaite
Le cadavre au chacal, la nuit à la chouette,
Un sac d'or à Judas, à Jésus un baiser.
Nous voulons voir l'eau vive en marais s'apaiser;
Nous aimons ce qui hait; notre bonté procure
Une hache à Caïn qu'enivre une âme obscure.
Enfer, sois vrai; César, sois fort; tigre, sois beau;
Que ta faim soit toujours assouvie, ô tombeau!
Rose, accepte l'argent hideux de la limace;
Que sous toute beauté l'ossement vil grimace.
Tout est faux; de quel crime es-tu née, ô vertu?