Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/131

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Il était une fois un caporal cipaye,
Pauvre diable; et n'ayant ni pitance, ni paye.
C'était à Jagrenat. Un soir il pénétra
Dans la grande pagode où la déesse Intra
Reluit, monstre incrusté d'escarboucles sans nombre.
Il grimpa sur l'idole, et lui vola dans l'ombre
Un beau caillou brillant qui faisait l'oeil du front.
La nuit l'avait fait brave et la peur le fit prompt;
Il s'enfuit, emportant l'objet. Le triste hère
Attacha le caillou, ne sachant trop qu'en faire,
Au pommeau de son sabre avec un fil d'archal;
Puis il se pavanait, fier comme un maréchal.
Un jour enfin, étant ivre entre les plus ivres,
A je ne sais quel juif il le vendit six livres..

Voilà ce que c'était que ton premier amant.

Le caillou du soldat était un diamant;
L'hébreu qui l'achetait était un lapidaire.
0 Vénus de Milo, Phébus du Belvédère,
 
Vous n'étiez rien qu'un marbre informe, jusqu'au temps
Où le sculpteur vous prit sous ses doigts palpitants,
Et vous tira du bloc, nus, rayonnants, sans voiles,
Et vous mit dans l'Olympe au milieu des étoiles!
Ainsi, des noires mains du lapidaire obscur,
Avec mille éclairs d'or et de pourpre et d'azur,