Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/336

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Toi qui seul eus l'honneur de tenir dans ta main
Et de pouvoir lâcher ce grand oiseau, Demain,
Toi qui balayas tout, l'azur, les étendues,
Les espaces, chasseur des fuites éperdues,
Toi qui fus le meilleur, toi qui fus le premier,.
O peuple, maintenant, assis sur ton fumier,
Racle avec un tesson le pus de tes ulcères,
Et songe.

La défaite a des conseils sincères;
La beauté du malheur farouche, c'est d'avoir
Une fraternité sombre avec le devoir;
Le devoir aujourd'hui, c'est de se laisser croître,
Sans bruit, et d'enfermer, comme une vierge au cloître,
Sa haine, et de nourrir les noirs ressentiments.
A quoi bon étaler déjà nos régiments?
A quoi bon galoper devant l'Europe hostile?
Ne point faire envoler de poussière inutile
Est sage; un jour viendra d'éclore et d'éclater;
Et je crois qu'il vaut mieux ne pas tant se hâter.

Car il faut, lorsqu'on voit les soldats de la France,
Qu'on dise: -C'est la gloire et c'est la délivrance!
C'est Jemmapes, l'Argonne, Ulm, Iéna, Fleurus!
C'est un tas de lauriers, au soleil apparus!
Regardez. Ils ont fait les choses impossibles.
Ce sont les bienfaisants, ce sont les invincibles.
Ils ont pour murs les monts et le Rhin pour fossé. -
En les voyant, il faut qu'on dise: -Ils ont chassé
Les rois du nord, les rois du sud, les rois de l'ombre;
Cette armée est le roc vainqueur des flots sans nombre,
Et leur nom resplendit du zénith au nadir! -
Il faut que les tyrans tremblent, loin d'applaudir:
 
Il faut qu'on dise: -Ils sont les amis vénérables
Des pauvres, des damnés, des serfs, des misérables,
Les grands spoliateurs des trônes, arrachant
Sceptre, glaive et puissance à quiconque est méchant;