Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/373

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TOUS ==



Je ne vous cache pas que je pense à nos pères.
Durs au tigre,, ils mettaient le pied sur les vipères;
Ils affrontaient la griffe, ils bravaient les venins,
Et ne craignaient pas plus les géants que les nains.
Ils étaient confiants, ils faisaient de grands songes,
Et par toute l'Europe, au-dessus des mensonges,
Des crimes, des erreurs, ils faisaient sans repos
Flotter ces fiers chiffons qu'on appelle drapeaux;
Quand les rois accouraient vers nous, gueules ouvertes,
Quand, fauve, horrible, éparse en nos campagnes vertes,
Quelque armée arrivait, ils étaient là; souvent
Ils avaient dissipé comme un nuage au vent
Cette armée innombrable et terrible naguère,
Que les fleurs qu'ils mettaient à leur chapeau de guerre
N'avaient pas encore eu le temps de se faner.
Je sais que l'homme fort ne doit pas s'étonner,
Et qu'il est de bon goût d'envoyer des bouffées
De cigare à l'histoire, aux tombeaux, aux trophées;
Boire son vin vaut mieux que répandre son sang;
Je sais que le dédain sied aux coeurs d'à présent ;
Et que des gens d'esprit et de bon sens qu'enivre
Ce but sublime, rire et digérer, bien vivre,
Sont grands, certe, et n'ont point le travers puéril
De vénérer ces vieux qui cherchaient le péril;
Les filles ont des droits, certes, et, je l'avoue,
C'est doux de contempler sur leur gorge et leur joue
Les roses et les lys, et la poudre de riz.