Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/105

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— Tant mieux ! vieillard, nous n’attendrons pas à la porte.

— Songez quelle abomination l’a souillée !

— Eh bien ! qu’elle se purifie en nous abritant. Allons, vieillard, suivez-moi. Je vous déclare qu’en une pareille nuit je tenterais l’hospitalité d’une caverne de voleurs.

Alors, malgré les remontrances du vieillard, dont il avait saisi le bras, il se dirigea vers l’édifice, que les fréquentes lueurs des éclairs lui montraient à peu de distance. En approchant, ils aperçurent une lumière à l’une des meurtrières de la tour.

— Vous voyez, dit le jeune homme, que cette tour n’est pas déserte. Vous voilà rassuré, sans doute.

— Dieu ! bon Dieu ! s’écria le vieillard, où me menez-vous, maître ? Ne plaise à saint Hospice que j’entre dans cet oratoire du démon !

Ils étaient au bas de la tour. Le jeune voyageur frappa avec force à la porte neuve de cette ruine redoutée.

— Tranquillisez-vous, vieillard ; quelque pieux cénobite sera venu sanctifier cette demeure profanée, en l’habitant.

— Non, disait son compagnon, je n’entrerai pas. Je réponds que nul ermite ne peut vivre ici, à moins qu’il n’ait pour chapelet une des sept chaînes de Belzébuth.

Cependant une lumière était descendue de meurtrière en meurtrière, et vint briller à travers la serrure de la porte.

— Tu viens bien tard, Nychol ! cria une voix aigre ; on dresse la potence à midi, et il ne faut que six heures pour venir de Skongen à Vygla. Est-ce qu’il y a eu surcroît de besogne ?

Cette question tomba au moment où la porte s’ouvrait. La femme qui l’ouvrait, apercevant deux figures étrangères, au lieu de celle qu’elle attendait, poussa un cri d’effroi et de menace, et recula de trois pas.

L’aspect de cette femme n’était pas lui-même très rassurant. Elle était grande, son bras élevait au-dessus de sa tête une lampe de fer dont son visage était fortement éclairé. Ses traits livides, sa figure sèche et anguleuse, avaient quelque chose de cadavéreux, et il s’échappait de ses yeux creux des rayons sinistres pareils à ceux d’une torche funèbre. Elle était vêtue depuis la ceinture d’un jupon de serge écarlate, qui ne laissait voir que ses pieds nus, et paraissait souillé de taches d’un autre rouge. Sa poitrine décharnée était à moitié couverte d’une veste d’homme de même couleur, dont les manches étaient coupées au coude. Le vent, entrant par la porte ouverte, agitait au-dessus de sa tête ses longs cheveux gris à peine retenus par une ficelle d’écorce, ce qui rendait plus sauvage encore l’expression de sa farouche physionomie.