Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/113

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réunis deux fois en douze heures sur la même voiture et sous le même toit. Imitez votre camarade l’ermite, qui se tait, car il a bonne envie de retourner dans sa grotte de Lynrass. Je vous remercie, frère ermite, de la bénédiction que tous les matins, à votre passage sur la colline, je vous vois donner à la Tour-Maudite ; mais, en vérité, jusqu’ici vous m’aviez semblé de haute taille, et cette barbe si noire m’avait paru blanche. Vous êtes bien cependant l’ermite de Lynrass, le seul ermite du Drontheimhus ?

— Je suis en effet le seul, dit l’ermite d’une voix sourde.

— Nous sommes donc, reprit l’hôte, les deux solitaires de la province. — Holà ! Bechlie, hâte un peu ce quartier d’agneau, car j’ai faim. J’ai été retardé, au village de Burlock, par ce maudit docteur Manryll, qui ne voulait me donner que douze ascalins du cadavre ; on en donne quarante à cet infernal gardien du Spladgest, à Drontheim. — Hé, messire de la perruque, qu’avez-vous donc ? vous allez tomber à la renverse. — À propos, Bechlie, as-tu terminé le squelette de l’empoisonneur Orgivius, ce fameux magicien ? Il serait temps de l’envoyer au cabinet de curiosités de Bergen. As-tu dépêché l’un de tes petits marcassins au syndic de Lœvig pour réclamer ce qu’il me doit ? quatre doubles écus pour avoir fait bouillir une sorcière et deux alchimistes, et enlevé plusieurs chaînes des poutres de la salle de son tribunal, qu’elles déparaient ; vingt ascalins pour avoir dépendu Ismaël Typhaine, juif dont s’était plaint le révérend évêque ; et un écu pour avoir remis un bras de bois neuf à la potence de pierre du bourg ?

— Le salaire, répondit la femme d’une voix aigre, est resté dans les mains du syndic, parce que ton fils avait oublié la cuiller de bois pour le recevoir, et qu’aucun valet du juge n’a voulu le lui remettre en main propre.

Le mari fronça le sourcil.

— Que leur cou me tombe entre les mains, ils verront si j’aurai besoin d’une cuiller de bois pour les toucher. Il faut pourtant ménager ce syndic. C’est à lui qu’est renvoyée la requête du voleur Ivar, qui se plaint de ce que la question lui a été donnée, non par un tortionnaire, mais par moi, alléguant que, n’ayant pas encore été jugé, il n’est pas encore infâme. — À propos, femme, empêche donc tes petits de jouer avec mes tenailles et mes pinces ; ils ont dérangé tous mes instruments, si bien que je n’ai pu m’en servir aujourd’hui. — Où sont-ils, ces petits monstres ? continua l’hôte en s’approchant du tas de paille où Spiagudry avait cru voir trois cadavres. Les voilà couchés là ; ils dorment, malgré le bruit, comme trois dépendus.

À ces paroles, dont l’horreur contrastait avec la tranquillité effrayante et l’atroce gaieté de celui qui les prononçait, le lecteur a peut-être déjà deviné quel est l’habitant de la tour de Vygla. Spiagudry, qui, dès son apparition,