Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/119

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Il se fit un moment de silence. Ordener, qui s’était levé de table, prêt à défendre le prêtre, le rompit le premier.

— Nychol Orugix, dit-il, voici treize écus pour vous dédommager de la grâce des condamnés.

— Hélas ! interrompit le ministre, qui sait si je l’obtiendrai ? Il faudrait que je pusse parler au fils du vice-roi, car cela dépend de son mariage avec la fille du chancelier.

— Seigneur aumônier, répondit le jeune homme d’une voix ferme, vous l’obtiendrez. Ordener Guldenlew ne recevra pas l’anneau nuptial, que les fers de vos protégés ne soient rompus.

— Jeune étranger, vous n’y pouvez rien ; mais Dieu vous entende et vous récompense !

Cependant, les treize écus d’Ordener avaient achevé ce que le regard du prêtre avait commencé. Nychol, entièrement apaisé, reprit sa gaieté.

— Tenez, révérend aumônier, vous êtes un brave homme, digne de desservir la chapelle de Saint-Hilarion ; j’en disais de vous plus que je n’en pensais. Vous marchez droit dans votre sentier, ce n’est pas votre faute s’il croise le mien. Mais celui auquel j’en veux, c’est le gardien des morts de Drontheim, ce vieux magicien, concierge du Spladgest. Quel est son nom déjà ? Spliugry ?… Spadugry ?… Dites-moi, mon vieux docteur, vous qui êtes une Babel de science, vous qui connaissez tout, vous ne pourriez pas m’aider à trouver le nom de ce sorcier, votre confrère ? Vous avez dû le rencontrer quelquefois, les jours de sabbat, chevauchant en l’air sur un balai ?

Certes, si le pauvre Benignus avait pu s’enfuir en ce moment sur quelque monture aérienne de ce genre, le narrateur de cette histoire ne doute pas qu’il ne lui eût confié avec bien de la joie sa frêle machine épouvantée. Jamais l’amour de la vie ne s’était développé avec autant de force chez lui, que depuis qu’il percevait de tous ses organes l’imminence du danger. Tout ce qu’il voyait l’effrayait ; les souvenirs de la Tour-Maudite, l’œil hagard de la femme rouge, la voix, les gants et la boisson du mystérieux ermite, l’aventurière intrépidité de son jeune compagnon, et, par-dessus tout, le bourreau ; ce bourreau dans le repaire duquel il tombait en fuyant, chargé d’un crime. Il tremblait si fort que tout mouvement volontaire était chez lui paralysé, surtout lorsqu’il vit la conversation se tourner sur lui, et qu’il entendit l’apostrophe du formidable Orugix. Comme il ne se souciait guère d’imiter l’héroïsme du prêtre, sa langue embarrassée se refusa assez longtemps à répondre.

— Eh bien ! reprit le bourreau, savez-vous le nom de ce concierge du Spladgest ? Est-ce que votre perruque vous rend sourd ?