Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/149

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mineurs royaux. Leurs bras étaient nus jusqu’à l’épaule, leurs pieds cachés dans des bottines fauves ; une ceinture d’étoffe rouge soutenait leurs sabres recourbés et leurs longs pistolets. Tous deux portaient une trompe de corne suspendue à leur cou. L’un était vieux, l’autre était jeune ; et l’épaisseur de la barbe du vieillard, la longueur des cheveux du jeune homme, ajoutaient quelque chose de sauvage à leurs physionomies, naturellement dures et sévères.

À son bonnet de peau d’ours, à sa casaque de cuir huilé, au mousquet fixé en bandoulière à son dos, à sa culotte courte et étroite, à ses genoux nus, à ses sandales d’écorce, à la hache étincelante qu’il portait à la main, il était facile de reconnaître, dans le compagnon des deux mineurs, un montagnard du nord de la Norvège.

Certes, celui qui eût aperçu de loin ces trois figures singulières, sur lesquelles le foyer, agité par les brises de mer, jetait des lueurs rouges et changeantes, eût pu être à bon droit effrayé, sans même croire aux spectres et aux démons ; il lui eût suffi pour cela de croire aux voleurs et d’être un peu plus riche qu’un poëte.

Ces trois hommes tournaient souvent la tête vers le sentier perdu du bois qui aboutit à la clairière de Ralph, et d’après celles de leurs paroles que le vent n’emportait pas, ils semblaient attendre un quatrième personnage.

— Dites donc, Kennybol, savez-vous qu’à cette heure-ci nous n’attendrions pas aussi paisiblement cet envoyé du comte Griffenfeld dans la prairie voisine, la prairie du lutin Tulbytilbet, ou là-bas, dans la baie de Saint-Cuthbert ?

— Ne parlez pas si haut, Jonas, répondit le montagnard au vieux mineur, béni soit Ralph le Géant qui nous protège ! Me préserve le ciel de remettre le pied dans la clairière de Tulbytilbet ! L’autre jour j’y croyais cueillir de l’aubépine, et j’y ai cueilli de la mandragore, qui s’est mise à saigner et à crier, ce qui a failli me rendre fou.

Le jeune mineur se prit à rire.

— En vérité, Kennybol ! je crois, moi, que le cri de la mandragore a bien produit tout son effet sur votre pauvre cerveau.

— Pauvre cerveau toi-même ! dit le montagnard avec humeur ; voyez, Jonas, il rit de la mandragore. Il rit comme un insensé qui joue avec une tête de mort.

— Hum ! repartit Jonas. Qu’il aille donc à la grotte de Walderhog, où les têtes de ceux que Han, démon d’Islande, a assassinés, reviennent chaque nuit danser autour de son lit de feuilles sèches, en entre-choquant leurs dents pour l’endormir.

— Cela est vrai, dit le montagnard.