Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/159

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dignius, que d’exposer noblement sa vie pour délivrer son pays d’un monstre, d’un brigand, d’un démon, en qui tous les démons, les brigands et les monstres semblent réunis ? — Qu’on ne m’aille pas dire qu’un sordide intérêt vous guide ! le noble seigneur Ordener abandonne le salaire de son combat au compagnon de son voyage, au vieillard qui l’aura conduit seulement à un mille de la grotte de Walderhog ; car, n’est-il pas vrai, jeune maître, que vous me permettrez d’attendre le résultat de votre illustre entreprise au hameau de Surb, situé à un mille du rivage de Walderhog, dans la forêt ? Et quand votre éclatante victoire sera connue, seigneur, ce sera dans toute la Norvège une joie pareille à celle de Vermund le Proscrit, quand, du sommet de ce même rocher d’Oëlmœ que nous côtoyons maintenant, il aperçut le grand feu que son frère Halfdan avait allumé, en signe de délivrance, sur le donjon de Munckholm…

À ce nom, Ordener interrompit vivement :

— Quoi ! du haut de ce rocher on aperçoit le donjon de Munckholm ?

— Oui, seigneur, à douze milles au sud, entre les montagnes que nos pères nommaient les Escabelles de Frigga. À cette heure on doit voir parfaitement le phare du donjon.

— Vraiment ! s’écria Ordener, qui s’élançait vers l’idée de revoir encore une fois le lieu où était tout son bonheur. Vieillard, il y a sans doute un sentier qui conduit au sommet de ce rocher ?

— Oui, sans doute ; un sentier qui prend naissance dans le bois où nous allons entrer, et s’élève, par une pente assez douce, jusqu’à la tête nue du rocher, sur laquelle il se continue en gradins taillés dans le roc par les compagnons de Vermund le Proscrit, au château duquel il aboutit. Ce sont ces ruines, que vous pouvez voir au clair de la lune.

— Eh bien, vieillard, vous allez m’indiquer le sentier ; c’est dans ces ruines que nous passerons la nuit, dans ces ruines d’où l’on voit le donjon de Munckholm.

— Y pensez-vous, seigneur ? dit Benignus. La fatigue de cette journée…

— Vieillard, j’aiderai votre marche ; jamais mon pas ne fut plus ferme.

— Seigneur, les ronces qui obstruent ce sentier depuis si longtemps abandonné, les pierres dégradées, la nuit…

— Je marcherai le premier.

— Peut-être quelque bête malfaisante, quelque animal impur, quelque monstre hideux…

— Ce n’est pas pour éviter les monstres que j’ai entrepris ce voyage.

L’idée de s’arrêter si près d’Oëlmœ déplaisait fort à Spiagudry ; celle de voir le phare de Munckholm, et peut-être la lumière de la fenêtre d’Éthel, enchantait et entraînait Ordener.