Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/171

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Ordener, impatient d’arriver aux ruines, arracha son guide d’auprès de la pyramide merveilleuse, et parvint, par de sages paroles, à dissiper les nouvelles craintes que cet étrange déplacement avait inspirées au vieux savant.

— Écoutez, vieillard, vous pourrez vous fixer au bord de ce lac, et vous livrer à votre aise à vos importantes études, quand vous aurez reçu les mille écus royaux que vous rapportera la tête de Han.

— Vous avez raison, noble seigneur ; mais ne parlez pas si légèrement d’une victoire bien douteuse. Il faut que je vous donne un conseil pour que vous vous rendiez plus aisément maître du monstre.

Ordener se rapprocha vivement de Spiagudry.

— Un conseil ! lequel ?

— Le brigand, dit celui-ci à voix basse et en jetant des regards inquiets autour de lui, le brigand porte à sa ceinture un crâne dans lequel il a coutume de boire. Ce crâne est le crâne de son fils, dont le cadavre est celui pour la profanation duquel je suis poursuivi.

— Haussez un peu la voix et ne craignez rien, je vous entends à peine. Eh bien ! ce crâne ?

— C’est de ce crâne, dit Spiagudry en se penchant à l’oreille du jeune homme, qu’il faut tâcher de vous emparer. Le monstre y attache je ne sais quelles idées superstitieuses. Quand le crâne de son fils sera en votre pouvoir, vous ferez de lui tout ce que vous voudrez.

— Cela est bien, mon brave homme ; mais comment s’emparer de ce crâne ?

— Par la ruse, seigneur ; pendant le sommeil du monstre, peut-être…

Ordener l’interrompit.

— Il suffit. Votre bon conseil ne peut me servir ; je ne dois pas savoir si un ennemi dort. Je ne connais pour combattre que mon épée.

— Seigneur, seigneur ! il n’est pas prouvé que l’archange Michel n’ait pas usé de ruse pour terrasser Satan…

Ici Spiagudry s’arrêta tout à coup, et étendit ses deux mains devant lui, en s’écriant d’une voix presque éteinte :

— Ô ciel ! ô ciel ! qu’est-ce que je vois là-bas ? Voyez, maître, n’est-ce pas un petit homme qui marche dans ce même sentier devant nous ?

— Ma foi, dit Ordener en levant les yeux, je ne vois rien.

— Rien, seigneur ? — En effet, le sentier tourne, et il a disparu derrière ce rocher. — N’allons pas plus loin, seigneur, je vous en conjure.

— En vérité, si ce personnage prétendu a si vite disparu, cela n’annonce pas qu’il ait l’intention de nous attendre ; et s’il fuit, ce n’est pas une raison pour nous de fuir.