Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/186

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Le vieux ministre secoua la tête en signe de doute.

— Je ne le crois pas plus que je ne le désire ; et d’ailleurs, où serait mon crime ? J’aurais été ingrat envers ce jeune homme, comme tant d’autres l’ont été envers moi.

Un soupir profond fut la seule réponse d’Éthel ; et Schumacker, se penchant vers son bureau, continua de déchirer d’un air distrait quelques feuillets des Vies des Hommes illustres de Plutarque, dont le volume, déjà lacéré en vingt endroits, et surchargé de notes, était devant lui.

Un moment après, le bruit de la porte qui s’ouvrait se fit entendre, et Schumacker, sans se détourner, cria sa défense habituelle : — Qu’on n’entre pas ! laissez-moi ; je ne veux pas qu’on entre.

— C’est son excellence le gouverneur, répondit la voix de l’huissier.

En effet, un vieillard, revêtu d’un grand habit de général, portant à son cou les colliers de l’Éléphant, de Danebrog et de la Toison d’or, s’avança vers Schumacker, qui se leva à demi, en répétant entre ses dents : — Le gouverneur ! le gouverneur ! — Le général salua avec respect Éthel, qui, debout près de son père, le considérait d’un air inquiet et craintif.

Peut-être, avant d’aller plus loin, n’est-il pas inutile de rappeler en quelques mots les motifs de cette visite du général Levin à Munckholm. Le lecteur n’a pas oublié les fâcheuses nouvelles qui tourmentaient le vieux gouverneur, au chapitre XX de cette véritable histoire. En les recevant, la nécessité d’interroger Schumacker s’était d’abord présentée à l’esprit du général ; mais il n’avait pu s’y décider sans une extrême répugnance. L’idée d’aller tourmenter un infortuné prisonnier, déjà livré à tant de tourments, et qu’il avait vu si puissant, de scruter sévèrement les secrets du malheur, même coupable, déplaisait à son âme bonne et généreuse. Cependant le service du roi l’exigeait ; il ne devait pas quitter Drontheim sans emporter les nouvelles lueurs qui pouvaient jaillir de l’interrogatoire de l’auteur apparent de l’insurrection des mineurs. C’était donc le soir qui devait précéder son départ qu’après un entretien long et confidentiel avec la comtesse d’Ahlefeld, le gouverneur s’était résigné à voir le captif. En se rendant au château, l’idée des intérêts de l’état, du parti que ses nombreux ennemis personnels pourraient tirer de ce qu’on nommerait sa négligence, et peut-être aussi d’astucieuses paroles de la grande chancelière, avaient fermenté dans sa tête et l’avaient ramené à la fermeté. Il était donc monté au donjon du Lion de Slesvig avec des projets de sévérité ; il se promettait d’être avec le conspirateur Schumacker comme s’il n’avait jamais connu le chancelier Griffenfeld, de dépouiller tous ses souvenirs et jusqu’à son caractère, et de parler en juge inflexible à cet ancien confrère de faveur et de puissance.