Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/192

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En parlant ainsi, le captif couvrit son visage de ses mains, et de longs soupirs s’échappaient de sa vieille poitrine. Éthel, qui ne comprenait de l’entretien que ce qui attristait son père, chercha sur-le-champ à le distraire.

— Mon père, voyez donc là-bas, au nord, on voit briller une lumière que je n’ai pas remarquée les soirées précédentes.

En effet, la nuit, qui était tout à fait tombée, faisait ressortir à l’horizon une lumière faible et lointaine, qui semblait partir du sommet de quelque montagne éloignée. Mais l’œil et l’esprit de Schumacker ne se dirigeaient pas incessamment comme ceux d’Éthel vers le nord ; aussi ne répondit-il point. Le général seul fut frappé de l’observation de la jeune fille. — C’est peut-être, se dit-il en lui-même, un feu allumé par les révoltés ; et cette idée lui rappelant avec force le but de sa présence, il adressa la parole au prisonnier :

— Seigneur Griffenfeld, je suis fâché de vous tourmenter ; mais il faut que vous subissiez…

— J’entends, seigneur gouverneur, ce n’est pas assez de passer mes jours dans ce donjon, de vivre flétri et abandonné, de n’avoir plus à moi que des souvenirs amers de grandeur et de puissance ; il faut encore que vous violiez ma solitude pour scruter mes douleurs et jouir de mon infortune. Puisque ce noble Levin de Knud, que plusieurs traits extérieurs de votre personne m’ont rappelé, est général comme vous, il eût été trop heureux pour moi qu’on lui donnât le poste que vous occupez ; car ce n’est pas lui, je vous jure, seigneur gouverneur, qui fût venu tourmenter un infortuné dans sa prison.

Durant le cours de cet entretien bizarre, le général avait été plus d’une fois sur le point de se nommer afin de le faire cesser. Ce reproche indirect de Schumacker lui en ôta le pouvoir. Il s’accordait si bien avec ses sentiments intérieurs, qu’il lui inspira comme un sentiment de honte de lui-même. Il essaya néanmoins de répondre à la supposition accablante de Schumacker. Chose étrange ! par la seule différence de leur caractère, ces deux hommes avaient changé réciproquement de position. Le juge était en quelque sorte réduit à se justifier devant l’accusé.

— Mais, dit le général, si le devoir l’y eût contraint, ne doutez pas que Levin de Knud…

— J’en doute, noble gouverneur ! s’écria Schumacker ; ne doutez pas vous-même qu’il n’eût rejeté, avec toute la généreuse indignation de son âme, l’emploi d’épier et d’accroître les tortures d’un malheureux captif ! Allez, je le connais mieux que vous ; en aucun cas il n’eût accepté les fonctions de bourreau. Maintenant, seigneur général, je vous écoute. Faites ce que vous appelez votre devoir. Que veut de moi votre excellence ?