Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/206

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mer pénétra dans son âme inopinément avec la certitude de l’avoir perdu. Tous les sentiments que ces deux pages décrivent à peine fondirent sur son cœur ensemble comme des éclats de tonnerre. Foudroyé, en quelque sorte, par la surprise, l’épouvante et le désespoir, il se jeta en arrière et se tordit les bras, en répétant d’une voix lamentable :

— Mon fils ! mon fils !

Le brigand se mit à rire ; et ce fut une chose horrible que d’entendre ce rire se mêler aux gémissements d’un père devant le cadavre de son fils.

— Par mon aïeul Ingolphe ! tu peux crier, comte d’Ahlefeld, tu ne le réveilleras pas.

Tout à coup son atroce visage se rembrunit, et il dit d’une voix sombre :

— Pleure ton fils, je venge le mien.

Un bruit de pas précipités dans la galerie l’interrompit ; et, au moment où il retournait la tête avec surprise, quatre hommes de haute taille, le sabre nu, s’élancèrent dans la salle ; un cinquième, petit et replet, les suivait, portant une torche d’une main et une épée de l’autre. Il était enveloppé d’un manteau brun, pareil à celui du grand-chancelier.

— Seigneur ! cria-t-il, nous vous avons entendu, nous accourons à votre secours.

Le lecteur a sans doute déjà reconnu Musdœmon et les quatre domestiques armés qui composaient la suite du comte.

Quand les rayons de la torche jetèrent leur lumière vive dans la salle, les cinq nouveaux-venus s’arrêtèrent frappés d’horreur ; et c’était en effet un spectacle effrayant. D’un côté, les restes sanglants du loup ; de l’autre, le cadavre défiguré du jeune officier ; puis ce père aux yeux hagards, aux cris farouches, et près de lui l’épouvantable brigand, tournant vers les assaillants un visage hideux, où se peignait un étonnement intrépide.

En voyant ce renfort inattendu, l’idée de la vengeance s’empara du comte et le jeta du désespoir dans la rage.

— Mort à ce brigand ! s’écria-t-il en tirant son épée. Il a assassiné mon fils ! Mort ! mort !

— Il a assassiné le seigneur Frédéric ? dit Musdœmon, et la torche qu’il portait n’éclaira point la moindre altération sur son visage.

— Mort ! mort ! répéta le comte furieux.

Et ils s’élancèrent tous six sur le brigand. Celui-ci, surpris de cette brusque attaque, recula vers l’ouverture qui donnait sur le précipice ; avec un rugissement féroce, qui annonçait plutôt la colère que la crainte.

Six épées étaient dirigées contre lui, et son regard était plus enflammé, et ses traits étaient plus menaçants qu’aucun de ceux des agresseurs. Il avait saisi sa hache de pierre, et, contraint par le nombre des assaillants à se borner