Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/228

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réfléchir, et se jeta impétueusement sur lui en lui portant la pointe de son sabre au visage.

Alors commença le combat le plus effrayant que l’imagination puisse se figurer. Le petit homme, debout sur l’autel, comme une statue sur son piédestal, semblait une des horribles idoles qui, dans les siècles barbares, avaient reçu dans ce même lieu des sacrifices impies et de sacrilèges offrandes.

Ses mouvements étaient si rapides que de quelque côté qu’Ordener l’attaquât, il rencontrait toujours la face du monstre et le tranchant de sa hache. Il aurait été mis en pièces dès les premiers chocs s’il n’avait eu l’heureuse inspiration de rouler son manteau autour de son bras gauche, en sorte que la plupart des coups de son furieux ennemi se perdaient dans ce bouclier flottant. Ils firent ainsi inutilement, pendant plusieurs minutes, des efforts inouïs pour se blesser l’un et l’autre. Les yeux gris et enflammés du petit homme sortaient de leur orbite. Surpris d’être si vigoureusement et si audacieusement combattu par un adversaire en apparence si faible, une rage sombre avait remplacé ses ricanements sauvages. L’atroce immobilité des traits du monstre, le calme intrépide de ceux d’Ordener contrastaient singulièrement avec la promptitude de leurs mouvements et la vivacité de leurs attaques.

On n’entendait d’autre bruit que le cliquetis des armes, les pas tumultueux du jeune homme, et la respiration pressée des deux combattants, quand le petit homme poussa un rugissement terrible. Le tranchant de sa hache venait de s’engager dans les plis du manteau. Il se roidit ; il secoua furieusement son bras, et ne fit qu’embarrasser le manche avec le tranchant dans l’étoffe, qui, à chaque nouvel effort, se tordait de plus en plus à l’entour.

Le formidable brigand vit le fer du jeune homme s’appuyer sur sa poitrine.

— Écoute-moi encore une fois, dit Ordener triomphant ; veux-tu me remettre ce coffre de fer que tu as lâchement volé ?

Le petit homme garda un moment le silence, puis il dit au milieu d’un rugissement :

— Non, et soit maudit !

Ordener reprit, sans quitter son attitude victorieuse et menaçante :

— Réfléchis !

— Non ; je t’ai dit que non, répéta le brigand.

Le noble jeune homme baissa son sabre.

— Eh bien ! dit-il, dégage ta hache des plis de mon manteau, afin que nous puissions continuer.

Un rire dédaigneux fut la réponse du monstre.

— Enfant, tu fais le généreux, comme si j’en avais besoin !