Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/239

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L’intrépide jeune homme, penché sur l’abîme, écouta. Un bruit lointain de voix monta à son oreille. Il ne douta plus que les êtres qui avaient étrangement paru et disparu à ses yeux ne se fussent plongés dans ce gouffre, et il sentit un désir invincible, parce qu’il était sans doute dans sa destinée, d’y descendre après eux, dût-il suivre des spectres dans une des bouches de l’enfer. D’ailleurs, la tempête commençait avec fureur, et ce gouffre lui présentait un abri contre elle. Mais comment y descendre ? quel chemin avaient pris ceux qu’il voulait suivre, si ce n’étaient pas des fantômes ? — Un second éclair vint à son secours, et lui fit voir à ses pieds l’extrémité supérieure d’une échelle, qui se prolongeait dans les profondeurs du puits. C’était une forte solive verticale, que traversaient horizontalement, de distance en distance, de courtes barres de fer destinées à recevoir les pieds et les mains de ceux qui oseraient s’aventurer dans ce gouffre.

Ordener ne balança pas. Il se suspendit audacieusement à la formidable échelle, et s’enfonça dans l’abîme, sans savoir même si elle le conduirait jusqu’au fond, sans songer qu’il ne reverrait peut-être plus le soleil. Bientôt, dans les ténèbres qui couvraient sa tête, il ne distingua plus le ciel qu’aux éclairs bleuâtres qui l’illuminaient fréquemment. Bientôt la pluie abondante, qui battait la surface de la terre, n’arriva plus à lui qu’en rosée fine et vaporeuse. Bientôt le tourbillon de vent qui s’engouffrait impétueusement dans le puits se perdit au-dessus de lui en long sifflement. Il descendit, il descendit encore, et à peine paraissait-il s’être rapproché de la lumière souterraine. Il continua sans se décourager, en évitant seulement d’abaisser son regard dans le gouffre, de peur d’y être précipité par un étourdissement.

Cependant, l’air de plus en plus étouffé, le bruit de voix de plus en plus distinct, le reflet pourpre qui commençait à colorer la muraille circulaire du puits, l’avertirent enfin qu’il n’était pas loin du fond. Il descendit encore quelques échelons, et son regard put voir clairement, au bas de l’échelle, l’entrée d’un souterrain éclairée d’une lueur tremblante et rouge, tandis que son oreille était frappée par des paroles qui attirèrent toute son attention.

— Kennybol n’arrive pas, disait une voix du ton de l’impatience.

— Qui peut le retenir ? répétait la même voix après un moment de silence.

— Nous l’ignorons, seigneur Hacket, répondait-on.

— Il a dû passer la nuit chez sa sœur Maase Braal, du village de Surb, ajoutait une autre voix.

— Vous le voyez, reprenait la première, je tiens, moi, tous mes engagements. Je devais vous amener Han d’Islande pour chef ; je vous l’amène.

Un murmure, dont il était difficile de deviner le sens, répondit à ces