Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/242

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de l’échelle. L’idée d’épargner un crime à Schumacker et tant de malheurs à son pays s’était emparée impérieusement de tout son être. Mais, au moment où il était apparu sur le seuil du souterrain, la crainte de perdre, par d’imprudentes déclamations le père de son Éthel, et peut-être son Éthel elle-même, avait remplacé tout autre sentiment en lui ; et il était resté là, pâle et jetant un regard étonné sur le tableau singulier qui s’offrait à sa vue.

C’était comme une immense place d’une ville souterraine, dont les limites se perdaient derrière une foule de piliers qui soutenaient les voûtes. Ces piliers brillaient comme des pilastres de cristal aux rayons d’un millier de torches que portait une multitude d’hommes bizarrement armés et répandus confusément dans les profondeurs de la place. On eût dit, à voir tous ces points lumineux et toutes ces figures effrayantes errer dans les ténèbres, une de ces assemblées fabuleuses, dont parlent les vieilles chroniques, de sorciers et de démons qui portaient des étoiles pour flambeaux, et illuminaient la nuit les vieux bois et les châteaux écroulés.

Un long cri s’éleva.

— Un étranger ! Mort ! mort !

Cent bras étaient déjà levés sur Ordener. Il porta la main à son côté pour y chercher son sabre. — Noble jeune homme ! dans son généreux élan il avait oublié qu’il était seul et désarmé.

— Attendez, attendez ! cria une voix, la voix de celui en qui Ordener voyait l’envoyé de Schumacker.

C’était un petit homme gras, vêtu de noir, à l’œil gai et faux. Il s’avança vers Ordener.

— Qui êtes-vous ? lui dit-il.

Ordener ne répondit pas ; il était saisi de toutes parts, et il n’y avait pas une place sur sa poitrine où ne s’appuyât la pointe d’une épée ou le canon d’un pistolet.

— Est-ce que tu as peur ? demanda le petit homme avec un sourire.

— Si ta main était sur mon cœur au lieu de ces épées, dit froidement le jeune homme, tu verrais qu’il ne bat pas plus vite que le tien, en supposant que tu aies un cœur.

— Ah ! ah ! dit le petit homme, il fait le fier ! eh bien ! qu’il meure. — Et il tourna le dos.

— Donne-moi la mort, répliqua Ordener ; c’est tout ce que je veux te devoir.

— Un instant, seigneur Hacket, dit un vieillard à barbe touffue, qui se tenait appuyé sur un long mousquet. Vous êtes ici chez moi, et j’ai seul le droit d’envoyer ce chrétien raconter aux morts ce qu’il a vu ici.

Le seigneur Hacket se mit à rire. — Ma foi, mon cher Jonas, comme il