Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/243

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vous plaira ! Peu m’importe que cet espion soit jugé par vous, pourvu qu’il soit condamné.

Le vieillard se tourna vers Ordener :

— Allons, dis-nous qui tu es, toi qui souhaitais si audacieusement de savoir qui nous sommes.

Ordener garda le silence. Entouré des étranges partisans de ce Schumacker, pour lequel il aurait si volontiers donné son sang, il n’éprouvait en ce moment qu’un désir infini de la mort.

— Sa courtoisie ne veut pas répondre, dit le vieillard. Quand le renard est pris, il ne crie plus. Tuez-le.

— Mon brave Jonas, reprit Hacket, que la mort de cet homme soit le premier exploit de Han d’Islande parmi vous.

— Oui, oui ! crièrent une foule de voix.

Ordener étonné, mais toujours intrépide, chercha des yeux ce Han d’Islande, auquel il avait si vaillamment disputé sa vie le matin même, et vit, avec un redoublement de surprise, s’avancer vers lui un homme d’une stature colossale, vêtu du costume des montagnards. Ce géant fixa sur Ordener un regard atrocement stupide, et demanda une hache.

— Tu n’es pas Han d’Islande, dit Ordener avec force.

— Qu’il meure ! qu’il meure ! cria Hacket d’une voix furieuse.

Ordener vit qu’il fallait mourir. Il mit la main dans sa poitrine, afin d’en tirer les cheveux de son Éthel et de leur donner un dernier baiser. Ce mouvement fit tomber un papier de sa ceinture.

— Quel est ce papier ? dit Hacket ; Norbith, prenez ce papier.

Ce Norbith était un jeune homme dont les traits noirs et durs avaient une expression de noblesse. Il ramassa le papier et le déploya.

— Grand Dieu ! s’écria-t-il, c’est la passe de mon pauvre ami Christophorus Nedlam, de ce malheureux camarade qu’ils ont exécuté, il n’y a pas huit jours, sur la place publique de Skongen, pour fausse monnaie.

— Eh bien ! dit Hacket avec l’accent d’une attente trompée, gardez ce chiffon de papier. Je le croyais plus important. Vous, mon cher Han d’Islande, expédiez votre homme.

Le jeune Norbith se plaça devant Ordener, et s’écria :

— Cet homme est sous ma protection. Ma tête tombera avant qu’il tombe un cheveu de la sienne. Je ne souffrirai pas que le sauf-conduit de mon ami Christophorus Nedlam soit violé.

Ordener, si miraculeusement protégé, baissa la tête et s’humilia ; car il se rappelait combien il avait dédaigneusement accueilli en lui-même le vœu touchant de l’aumônier Athanase Munder : — Puisse le don du mourant être un bienfait pour le voyageur.