Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/247

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— En vérité ! Que vous a-t-il donc fait ?

— Oh ! ne me le demandez pas ; je veux seulement que ma barbe blanchisse en un jour, comme le poil d’une hermine, si l’on me surprend de ma vie, puisqu’il est vrai que je vis encore, à la chasse d’un ours blanc.

— Est-ce que vous avez failli être dévoré par un ours ?

Kennybol haussa les épaules en signe de mépris :

— Un ours ! voilà un redoutable ennemi ! Kennybol dévoré par un ours ? Pour qui me prenez-vous, seigneur Hacket ?

— Ah ! pardon, dit Hacket en souriant.

— Si vous saviez ce qui m’est arrivé, mon brave seigneur, interrompit le vieux chasseur en baissant la voix, vous ne me répéteriez point que Han d’Islande est ici.

Hacket parut de nouveau un moment déconcerté. Il arrêta brusquement Kennybol par le bras, comme s’il craignait qu’il n’approchât davantage du point de la place souterraine où l’on apercevait, au-dessus des têtes des mineurs, la tête énorme du géant.

— Mon cher Kennybol, dit-il d’une voix presque solennelle, contez-moi, je vous prie, ce qui a causé votre retard. Vous pensez qu’au moment où nous sommes, tout peut être d’une haute importance.

— Cela est vrai, dit Kennybol après un moment de réflexion.

Alors cédant aux instances réitérées de Hacket, il lui raconta comment il avait, le matin même, aidé de six compagnons, poussé un ours blanc jusqu’aux environs de la grotte de Walderhog, sans s’apercevoir, dans l’ardeur de la chasse, qu’il était si près de ce lieu redoutable ; comment les plaintes de l’ours aux abois avaient attiré un petit homme, un monstre, un démon, qui, armé d’une hache de pierre, s’était jeté sur eux à la défense de l’ours. L’apparition de cette espèce de diable, qui ne pouvait être autre que Han, le démon islandais, les avait glacés tous sept de terreur ; enfin, ses six malheureux camarades avaient été victimes des deux monstres, et lui, Kennybol, n’avait dû son salut qu’à une prompte fuite, qui n’avait pas été entravée, grâce à son agilité, à la fatigue de Han d’Islande, et, avant tout, à la protection du bienheureux patron des chasseurs, saint Sylvestre.

— Vous voyez, seigneur Hacket, dit-il en terminant son récit encore plein de son épouvante, et orné de toutes les fleurs de la rhétorique des montagnes, vous voyez que si je viens tard, ce n’est pas moi qu’il faut accuser, et qu’il est impossible que le démon d’Islande, que j’ai laissé ce matin avec son ours, s’acharnant sur les cadavres de mes six pauvres camarades dans la bruyère de Walderhog, soit maintenant, comme notre ami, dans cette