Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XLI


Un signal lugubre est donné, un ministre abject de la justice vient frapper à sa porte, et l’avertir qu’on a besoin de lui.
Joseph de Maistre.



La nuit venait de tomber ; un vent froid sifflait autour de la Tour-Maudite, et les portes de la ruine de Vygla tremblaient dans leurs gonds, comme si la même main les eût secouées toutes à la fois.

Les farouches habitants de la tour, le bourreau et sa famille, étaient réunis autour du foyer allumé au milieu de la salle du premier étage, qui jetait des rougeurs vacillantes sur leurs visages sombres et sur leurs vêtements d’écarlate. Il y avait dans les traits des enfants quelque chose de féroce comme le rire de leur père, et de hagard comme le regard de leur mère. Leurs yeux, ainsi que ceux de Bechlie, étaient tournés vers Orugix, qui, assis sur une escabelle de bois, paraissait reprendre haleine, et dont les pieds, couverts de poussière, annonçaient qu’il venait d’arriver de quelque lointaine expédition.

— Femme, écoute ; écoutez, enfants. Ce n’est pas pour apporter de mauvaises nouvelles que j’ai été absent deux jours entiers. Si, avant un mois, je ne suis pas exécuteur royal, je veux ne savoir pas serrer un nœud coulant ou manier une hache. Réjouissez-vous, mes petits louveteaux, votre père vous laissera peut-être pour héritage l’échafaud même de Copenhague.

— Nychol, demanda Bechlie, qu’y a-t-il donc ?

— Et toi, ma vieille bohémienne, reprit Nychol avec son rire pesant, réjouis-toi aussi ! tu peux t’acheter des colliers de verre bleu pour orner ton cou de cigogne étranglée. Notre engagement expire bientôt ; mais va, dans un mois, quand tu me verras le premier bourreau des deux royaumes, tu ne refuseras pas de casser une autre cruche avec moi[1].

— Qu’y a-t-il donc, qu’y a-t-il donc, mon père ? demandèrent les en-

  1. Quand une bohémienne se mariait, elle se bornait, pour toute cérémonie, à briser un pot de terre devant l’homme dont elle voulait devenir la compagne, et elle vivait conjugalement avec lui autant d’années qu’il y avait de fragments du vase. Au bout de ce temps, les époux étaient libres de se quitter, ou de rompre un nouveau pot de terre.
    xxxC’est sans doute à cet usage bizarre que le bourreau du Drontheimhus fait ici allusion.
    (Note de l’édition originale.)