Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ascalins n’étaient pas encore à dédaigner, et que mes mains ne se dégraderaient en exécutant de simples voleurs et autres canailles de ce genre que lorsqu’elles auraient décapité le noble comte ex-grand-chancelier et le fameux démon d’Islande. Je me suis donc résigné, en attendant mon diplôme de maître royal des hautes-œuvres, à expédier le pauvre misérable du bourg de Nœs ; et voici, ajouta-t-il en tirant une bourse de cuir de son havresac, voici les trente-deux ascalins que je t’apporte, la vieille.

En ce moment, le bruit du cor se fit entendre à trois reprises différentes, en dehors de la tour.

— Femme, cria Orugix en se levant, ce sont les archers du haut-syndic.

À ces mots, il descendit en toute hâte.

Un instant après il reparut, portant un grand parchemin, dont il avait rompu le sceau.

— Tiens, dit-il à sa femme, voilà ce que le haut-syndic m’envoie. Déchiffre-moi cela, toi qui lirais le grimoire de Satan. Ce sont peut-être déjà mes lettres de promotion ; car, puisque le tribunal aura un grand chancelier pour président et un grand-chancelier pour accusé, il conviendrait que le bourreau qui exécutera son arrêt fût un bourreau royal.

La femme reçut le parchemin, et, après y avoir quelque temps promené ses yeux, elle lut à haute voix, tandis que les enfants jetaient sur elle un regard hébété et stupide :

— « Au nom du haut-syndic du Drontheimhus ! — il est ordonné à Nychol Orugix, bourreau de la province, de se transporter sur-le-champ à Drontheim, et de se munir de la hache d’honneur, du billot et des tentures noires. »

— C’est là tout ? demanda le bourreau d’une voix mécontente.

— C’est là tout, répondit Bechlie.

— Bourreau de la province ! murmura Orugix entre ses dents.

Il resta un moment jetant sur le parchemin syndical des regards d’humeur.

— Allons, dit-il enfin, il faut obéir et partir. Voici pourtant qu’on me demande la hache d’honneur et les tentures noires. — Tu auras soin, Bechlie, d’enlever les gouttes de rouille qui ont délustré ma hache, et de voir si la draperie n’est pas tachée en plusieurs endroits. En somme, il ne faut pas se décourager, ils ne veulent peut-être m’accorder d’avancement que comme salaire de cette belle exécution. Tant pis pour les condamnés, ils n’auront pas la satisfaction d’être mis à mort par un exécuteur royal.