Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/309

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heureuse Éthel frémit ; elle ne songeait pas que cette déclaration de son amant sauvait son père. Elle avait devant les yeux la mort de son Ordener.

— Hallebardiers, qu’on fasse silence ! dit le président, profitant peut-être du moment de rumeur pour rallier ses idées et reprendre sa présence d’esprit. — Ordener Guldenlew, reprit-il, expliquez-vous.

Le jeune homme resta un instant rêveur, puis soupira avec effort, puis prononça ces paroles d’un ton calme et résigné :

— Oui, je sais qu’une mort infâme m’attend ; je sais que la vie pourrait m’être belle et glorieuse. Mais Dieu lira au fond de mon cœur ! à la vérité, Dieu seul ! — Je vais accomplir le premier devoir de mon existence ; je vais lui sacrifier mon sang, mon honneur peut-être ; mais je sens que je mourrai sans remords et sans repentir. Ne vous étonnez pas de mes paroles, seigneurs juges ; il y a dans l’âme et dans la destinée humaine des mystères que vous ne pouvez pénétrer et qui ne sont jugés qu’au ciel. Écoutez-moi donc, et agissez envers moi selon vos consciences, quand vous aurez absous ces infortunés, et surtout ce déplorable Schumacker, qui a déjà, dans sa captivité, expié bien plus de crimes qu’un homme n’en peut commettre. — Oui, je suis coupable, nobles juges, et seul coupable. Schumacker est innocent ; ces autres malheureux ne sont qu’égarés. L’auteur de la rébellion des mineurs, c’est moi.

— Vous ! s’écrièrent à la fois, et avec une expression étrange, le président et le secrétaire intime.

— Moi ! et ne m’interrompez plus, seigneurs. Je suis pressé de terminer, car en m’accusant je justifie ces infortunés. C’est moi qui ai soulevé les mineurs au nom de Schumacker ; c’est moi qui ai fait distribuer aux rebelles des bannières ; qui leur ai envoyé, au nom du prisonnier de Munckholm, de l’or et des armes. Hacket était mon agent.

À ce nom de Hacket, le secrétaire intime fit un geste de stupeur. Ordener continua :

— J’épargne vos moments, seigneurs. J’ai été pris dans les rangs des mineurs, que j’avais poussés à la révolte. J’ai seul tout fait. Maintenant, jugez. Si j’ai prouvé mon crime, j’ai prouvé également l’innocence de Schumacker et celle des pauvres misérables que vous croyez ses complices.

Le jeune homme parlait ainsi, les yeux levés au ciel. Éthel, presque inanimée, respirait à peine ; il lui semblait seulement qu’Ordener, tout en justifiant son père, prononçait bien amèrement son nom. Les discours du jeune homme l’étonnaient et l’épouvantaient, sans qu’elle pût les comprendre. Dans tout ce qui frappait ses sens, elle ne voyait clairement que le malheur.

Un sentiment du même genre paraissait préoccuper le président. On eût