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XLIV


C’était le malheur qui les rendait égaux.
Charles Nodier[1].



C’en est donc fait : tout va s’accomplir, ou plutôt tout est déjà accompli. Il a sauvé le père de celle qu’il aimait, il l’a sauvée elle-même, en lui conservant l’appui paternel. La noble conspiration du jeune homme pour la vie de Schumacker a réussi ; maintenant le reste n’est rien ; il n’a plus qu’à mourir.

Que ceux qui l’ont cru coupable ou insensé le jugent maintenant, ce généreux Ordener, comme il se juge lui-même dans son âme avec un saint ravissement. Car ce fut toujours sa pensée, en entrant dans les rangs des rebelles, que, s’il ne pouvait empêcher l’exécution du crime de Schumacker, il pourrait du moins en empêcher le châtiment, en l’appelant sur sa propre tête.

Hélas ! s’était-il dit, sans doute Schumacker est coupable ; mais, aigri par sa captivité et son malheur, son crime est pardonnable. Il ne veut que sa délivrance ; il la tente, même par la rébellion. — D’ailleurs, que deviendra mon Éthel si on lui enlève son père ; si elle le perd par l’échafaud, si un nouvel opprobre vient flétrir sa vie, que deviendra-t-elle, sans soutien, sans secours, seule dans son cachot, ou errante dans un monde d’ennemis ? Cette pensée l’avait déterminé à son sacrifice, et il s’y était préparé avec joie ; car le plus grand bonheur d’un être qui aime est d’immoler son existence, je ne dis pas à l’existence, mais à un sourire, à une larme de l’être aimé.

Il a donc été pris parmi les rebelles, il a été traîné devant les juges qui devaient condamner Schumacker, il a commis son généreux mensonge, il a été condamné, il va mourir d’une mort cruelle, d’un supplice ignominieux,

  1. Épigraphe de l’édition originale :
    xJamais !… Un prompt trépas va me délivrer de mes chaînes ; une mort lente pourrait seule mettre un terme à sa douleur… Les amants savent tout sacrifier, hormis leur tendresse ; ils se passent de tout, excepté de l’amour. Je suis tout pour mon épouse : elle est pour moi plus que la vie… Et je renoncerais à elle pour racheter une chose misérable, qui sans elle n’est d’aucun prix ! Ô Cora !… je ne puis passer de tes bras qu’au tombeau. — Allez, allez, madame ; s’il n’est point d’autre moyen de me sauver, je vous remercie.
    Kotzebue, les Espagnols au Pérou.