Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/336

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Danebrog. Son visage était pâle, mais fier. Il était seul ; car on était venu le chercher pour le supplice avant que l’aumônier Athanase Munder fût revenu dans son cachot.

Ordener avait déjà consommé intérieurement son sacrifice. Cependant l’époux d’Éthel songeait encore avec quelque amertume à la vie, et eût peut-être voulu pouvoir choisir pour sa première nuit de noces une autre nuit que celle du tombeau. Il avait prié et surtout rêvé dans sa prison. Maintenant il était debout devant le terme de toute prière et de tout rêve. Il se sentait fort de la force que donnent Dieu et l’amour.

La foule, plus émue que le condamné, le considérait avec une attention avide. L’éclat de son rang, l’horreur de son sort, éveillaient toutes les envies et toutes les pitiés. Chacun assistait à son châtiment sans s’expliquer son crime. Il y a au fond des hommes un sentiment étrange qui les pousse, ainsi qu’à des plaisirs, au spectacle des supplices. Ils cherchent avec un horrible empressement à saisir la pensée de la destruction sur les traits décomposés de celui qui va mourir, comme si quelque révélation du ciel ou de l’enfer devait apparaître, en ce moment solennel, dans les yeux du misérable ; comme pour voir quelle ombre jette l’aile de la mort planant sur une tête humaine ; comme pour examiner ce qui reste d’un homme quand l’espérance l’a quitté. Cet être, plein de force et de santé, qui se meut, qui respire, qui vit, et qui, dans un moment, cessera de se mouvoir, de respirer, de vivre, environné d’êtres pareils à lui, auxquels il n’a rien fait, qui le plaignent tous, et dont nul ne le secourra ; ce malheureux, mourant sans être moribond, courbé à la fois sous une puissance matérielle et sous un pouvoir invisible ; cette vie que la société n’a pu donner, et qu’elle prend avec appareil, toute cette cérémonie imposante du meurtre judiciaire, ébranlent vivement les imaginations. Condamnés tous à mort avec des sursis indéfinis, c’est pour nous un objet de curiosité étrange et douloureuse, que l’infortuné qui sait précisément à quelle heure son sursis doit être levé.

On se souvient qu’avant d’aller à l’échafaud Ordener devait être amené devant le tribunal, pour être dégradé de ses titres et de ses honneurs. À peine le mouvement excité dans l’assemblée par son arrivée eut-il fait place au calme, que le président se fit apporter le livre héraldique des deux royaumes et les statuts de l’ordre de Danebrog.

Alors, ayant invité le condamné à mettre un genou en terre, il recommanda aux assistants le silence et le respect, ouvrit le livre des chevaliers de Danebrog et commença à lire d’une voix haute et sévère :

« — Christiern, par la grâce et miséricorde du Tout-Puissant, roi de Danemark et de Norvège, des Vandales et des Goths, duc de Slesvig, de Holstein, de Stormarie et de Dytmarse, comte d’Oldenbourg et de Delmenhurst,