Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/341

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Il parut réfléchir un moment. Un horrible malaise se peignit sur le front du président.

— Non, seigneur évêque, dit-il enfin.

Le président jeta sur lui un regard soulagé qui rencontra le sien.

— Non, je n’ai point eu de complices, répéta Musdœmon avec plus de force. J’avais tramé tout ce complot par attachement pour mon maître, qui l’ignorait, pour perdre son ennemi Schumacker.

Les regards de l’accusé et du président se rencontrèrent encore.

— Votre grâce, reprit l’évêque, doit sentir que, puisque Musdœmon n’a point eu de complices, le baron Ordener Guldenlew ne peut être coupable.

— S’il ne l’était pas, révérend évêque, comment se serait-il avoué criminel ?

— Seigneur président, comment ce montagnard s’est-il obstiné à se dire Han d’Islande au péril de sa tête ? Dieu seul sait ce qui existe au fond des cœurs.

Ordener prit la parole.

— Seigneurs juges, je puis vous le dire, maintenant que le vrai coupable est découvert. Oui, je me suis faussement accusé pour sauver l’ancien chancelier Schumacker, dont la mort eût laissé sa fille sans protecteur.

Le président se mordit les lèvres.

— Nous demandons au tribunal, dit l’évêque, que l’innocence de notre client Ordener soit proclamée par lui.

Le président répondit par un signe d’adhésion ; et, sur la demande du haut-syndic, on acheva l’examen de la redoutable cassette, qui ne renfermait plus que le diplôme et les titres de Schumacker mêlés à quelques lettres du prisonnier de Munckholm au capitaine Dispolsen, lettres amères sans être coupables, et qui ne pouvaient effrayer que le chancelier d’Ahlefeld.

Bientôt le tribunal se retira, et après une courte délibération, tandis que les curieux rassemblés dans la place d’Armes attendaient avec une impatience opiniâtre le fils du vice-roi condamné, et que le bourreau se promenait nonchalamment sur l’échafaud, le président prononça, d’une voix presque éteinte, l’arrêt qui condamnait à mort Turiaf Musdœmon, et réhabilitait Ordener Guldenlew, le réintégrant dans tous ses honneurs, titres et privilèges.